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Ils ont quitté le théâtre et le roman pour s’instituer de leur chef les organes de l’opinion. Nous les avons subis là comme ailleurs ; nous n’avons pas été beaucoup plus choqués du vide de leur parole en ces matières de conscience et d’ordre public que nous ne l’étions à les entendre couvrir du cliquetis des mots le néant de leurs fictions littéraires. Là comme ailleurs nous avons admiré l’art pour l’art avec ce dilettantisme universel qui caractérise l’énervement des siècles de décadence.

L’état, de son côté, n’a pas su nous défendre assez contre cette corruption ; il a lui-même prêté une oreille complaisante, il a lui-même applaudi au bruit stérile de ces creuses cymbales. Il s’est trouvé quelquefois que l’état rougissait de la condition prosaïque à laquelle l’astreignaient les lois modernes de son existence ; il se sentait embarrassé d’être bourgeois, il s’essayait à trancher du grand siècle et ; cherchait où placer ses bontés ; la haute protection des lettres lui semblait l’indispensable complément de sa gentilhommerie de fraîche date. Or, à cette heure-là précisément les lettres étaient devenues une institution industrielle, une corporation commerçante avec brevet et privilège, une société patentée. Elles réclamaient le droit au travail bien avant les ateliers nationaux ; elles le réclamaient sous sa forme la plus naïve, prétendant sans autre détour que le gouvernement était tenu de se fournir de vers et de prose en quantité suffisante, et surtout de payer d’avance. Les grands lettrés occupaient le haut du pavé dans ce mandarinat ; les petits portaient respectueusement la queue de leur robe et ne demandaient qu’à ramasser leurs miettes. Et tout ce cortége menait un bruit d’enfer, écrivant, enseignant, chantant qu’il fallait que l’état assurât l’indépendance des gens de lettres… en leur faisant des rentes. L’état, qui avait le cœur tendre, les crut souvent un peu vite ; l’état fut magnifique ; l’état fut président de la fameuse société ; la littérature d’imagination compta dans l’état par mille titres officiels, et reçut en masse l’investiture politique.

On a vu dès-lors les Olympios se multiplier sans relâche sur tous les degrés de leur hiérarchie, gonfler leur personnage et darder, chacun selon ses moyens, les clartés lumineuses de leur face. Au bas de l’échelle. les niais, les acolytes et les imitateurs, servum pecus ; au milieu les habiles, au plus haut les forts, et plus haut encore sans contredit M. Victor Hugo, comme le père éternel au bout de l’échelle de Jacob ; les uns et les autres, les médiocres aussi bien que les illustres, tous se donnant à l’envi l’air important et affairé qu’avaient probablement les anges dans le rêve mystique du patriarche, l’air grave et pénétré qui convient à des médiateurs incessamment en course de la terre au ciel et du ciel à la terre ; tous enfin pliant sous le poids de leur charge et de leur front, et ne demandant en récompense qu’une part au pouvoir