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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/309

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tous ses instincts, tous ses goûts, toutes ses habitudes ; je crois que ses bas-reliefs ne les révèlent pas aussi sûrement. Faut-il proposer jean Goujon comme un modèle irréprochable, comme un guide infaillible, incapable d’égarer ceux qui le suivent ? Telle n’est pas ma pensée, j’espère que le lecteur l’a déjà pressenti. Je professe pour Jean Goujon une admiration profonde ; mais mon admiration ne ferme pas mes yeux à l’évidence. Si le chef glorieux de l’école française se recommande à tous les bons esprits par l’élégance, par la souplesse, par l’expression tantôt fine, tantôt grave de ses figures, par les lignes ingénieuses et variées des draperies ; s’il paraît avoir touché les dernières limites de la grace dans les nymphes de sa fontaine, ce n’est pas à dire, malgré l’étonnante réunion de ces rares mérites, qu’il soit à l’abri de tout reproche. La grace de ses figures n’est pas toujours exempte d’afféterie, comme on peut s’en convaincre sans sortir de la cour du Louvre. Le jet de ses draperies manque parfois de simplicité ; dans son désir de donner de l’élégance et de la souplesse au torse et aux membres de ses femmes, il ne s’arrête pas toujours à temps ; il lui arrive de poursuivre avec trop d’obstination l’application d’un principe excellent, l’exagération des distances qui séparent les différentes parties du corps humain. Oui, sans doute, Jean Goujon est bon à consulter, c’est un maître dont les œuvres sont pleines d’enseignemens. J’ai dit et je pense que la fontaine des Nymphes est une véritable école de sculpture ; mais, quelle que soit la fécondité, quel que soit le génie de ce maître illustre, je ne conseille à personne de s’en tenir à ses leçons. On sait ce qu’est devenue en Italie l’école de Michel-Ange ; une école fondée aujourd’hui sur l’étude exclusive de Jean Goujon n’exposerait pas l’art de la sculpture à de moindres dangers. Il y a dans les meilleures œuvres de ce maître quelque chose que le goût a le droit de discuter, que la raison refuse parfois d’accepter. C’en est assez pour ne pas recommander l’étude exclusive de Jean Goujon. Quoique le sculpteur français se distingue très nettement du sculpteur florentin, il est impossible cependant de ne pas saisir, de ne pas signaler la parenté qui les unit. Quoique le caractère de leurs œuvres ne soit pas le même, quoique le Moïse et les captifs du tombeau de Jules II n’aient pas inspiré les caryatides de la salle des Cent-Suisses, quoique Michel-Ange nous frappe surtout par l’énergie et la grandeur, tandis que Jean Goujon nous étonne par la souplesse et la grace, il est difficile de ne pas songer à la chapelle des Médicis en regardant Diane de Poitiers. Eh bien ! si la chapelle des Médicis, malgré le génie qui éclate dans cet admirable ouvrage, est une étude périlleuse pour les jeunes statuaires, la Diane et les Nymphes de Jean Goujon ne doivent pas être imitées avec moins de réserve et de prudence.

Ce n’est ni à Michel-Ange ni à Jean Goujon qu’il faut se fier pour l’ex-