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On a pu calculer, avec assez d’approximation pour un certain nombre d’industries, l’accroissement de puissance productive que le capital, sous la forme des machines, avait procuré au travail humain. Dans la mouture par exemple, il paraît qu’il serait exprimé par le rapport de 1 à 200 ; c’est-à-dire qu’avec un moulin perfectionné de nos jours un homme fait la besogne qui en eût exigé deux cents du temps d’Homère. Dans la filature du coton, durant l’espace des quatre-vingts dernières années, le changement a eu lieu dans le rapport de 1 à 350. Dans la filature du lin, en quelques années, on a pu observer nue progression de 1 à 250[1]. Pendant les premiers âges de l’humanité, les améliorations de ce genre s’obtenaient très lentement. On faisait peu de découvertes, et puis on ne les appliquait pas ou l’on ne les appliquait que fort mal. La marche n’a été rapide que depuis un siècle ou deux. Pour la plupart des arts, depuis soixante ans, la marche est devenue très rapide. Dans plusieurs branches, l’avancement tient de la merveille.

Par la division du travail qu’il provoque, comme il a été dit plus haut, le capital développe aussi, dans une très forte proportion, la puissance productive du labeur humain. Dans quelques industries où l’on a pu s’en faire une idée, le changement obtenu de cette manière dépasse tout ce qu’on aurait pu attendre. Dans la fabrication des épingles, on a constaté que, par le fait de la division du travail, la multiplication des produits était dans le rapport de t à 250[2] ; dans celle des cartes à jouer, c’est à peu près de même[3].

Si donc le genre humain est pauvre, par l’assistance d’un capital de plus en plus considérable pour une même population, il lui sera donné de posséder les matériaux d’un bien-être général. Le capital n’est pas en soi l’antagoniste du travail, il en est l’auxiliaire. Une nation qui n’a pas de capital est à celle qui en est nantie ce qu’une armée réduite à ses poings pour tous moyens offensifs et défensifs serait à des troupes pourvues d’armes de toute espèce, depuis le sabre jusqu’au

  1. L’empereur. Napoléon avait promis un prix d’un million à celui qui résoudrait le problème de filer le lin à la mécanique. La solution ne vint que bien après le renversement du trône impérial. Il est maintenant avéré que le problème était dès-lors en voie de solution par les soins de M. Philippe de Girard ; ce sont les élémens réunis par cet homme ingénieux qui, plus tard déposés en d’autres mains, ont permis d’établir la filature mécanique du lin telle qu’elle existe aujourd’hui. Je signale ce fait parce que la famille de M. de Girard sollicite du gouvernement une récompense modeste en s’appuyant sur le décret impérial.
  2. Adam Smith, Richesse des nations, livre I, chap. I.
  3. J.-B. Say, Cours complet d’Économie politique, tome I, page 164.