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faut pas perdre de vue que tous ces tableaux ont pour objet de retracer des mystères de la religion ou des scènes dans lesquelles la majesté royale doit ressortir sur les accessoires qui l’entourent. Or, la placidité, la froideur même, conviennent également aux symboles mystiques du culte religieux ou aux solennités de la puissance royale. De plus, il ne faut pas oublier que ces bas-reliefs sont la représentation des coutumes, des mœurs d’une nation asiatique, dont le caractère dominant est précisément un grand calme et une sévérité tout extérieure. De tout temps et dans toutes les classes, les peuples d’Orient ont affecté une dignité froide et compassée dans leur maintien, qui explique ce qui nous paraît choquant dans le manque d’animation et de vie qu’un Européen croirait pouvoir reprocher à ces sculptures. À part ces critiques, que nous ne repoussons pas entièrement, il faut rendre aux sculpteurs qui ont exécuté ces monumens cette justice, qu’ils y ont apporté une précision de dessin et de ciseau qui permet de faire entrer ces bas-reliefs en comparaison, pour la pureté des contours, avec les camées antiques les plus délicats.

Nos réserves étant faites sur les imperfections réelles de l’art persan, on peut dire que les monumens de Takht-i-Djemchid sont, parmi ceux du vieux monde, les plus étonnans et les plus admirables que le voyageur puisse rencontrer, car, il faut bien le reconnaître et l’admettre, rien dans ces palais des princes achéménides n’est sauvage ou barbare ; tout, au contraire, y décèle une ère de civilisation où les arts avaient déjà fait de grands pas. Pour étonner les yeux, ce n’est point à des moyens grossiers que les sculpteurs persans ont eu recours ; ils n’ont pas, comme ceux de l’Inde ou de l’Égypte, inventé des formes bizarres et effrayantes ; ils n’ont pas tiré adroitement parti d’accidens naturels pour aider leur ciseau impuissant à créer. Non : à Persépolis, tout est art, tout est élégance, et si l’habileté des temps modernes n’y a pas produit de chefs-d’œuvre incontestables, du moins les compositions des artistes persans se distinguent toujours par le goût, l’originalité et la richesse.

Nous touchions au terme de nos travaux, quand le temps, qui s’était presque invariablement maintenu beau et chaud, changea brusquement. Les sommets des montagnes lointaines s’étaient couverts de neige, et le froid commençait à se faire sentir, même dans la plaine : c’était le 7 décembre ; il y avait deux mois que nous étions arrivés sur le plateau de Persépolis, et que nous vivions sous la tente. Le moment était venu de reprendre nos excursions aventureuses. Nous dîmes adieu aux ruines admirables qui n’avaient plus de secrets à nous livrer, et nous prîmes la route de Chiraz.

Eug. Flandin