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d’elle-même (ce qui est une illusion), et se meut avec tant d’agilité qu’on la prendrait pour un danseur pantomime[1]. »

Au XIIe siècle, Eustathe, le savant archevêque de Thessalonique, en expliquant un vers du quatrième chant de l’Iliade, s’étend, à ma grande satisfaction, quoique sans beaucoup d’à-propos, sur les joueurs de marionnettes[2] ; il s’étonne de la grande renommée que Pothein acquit en Grèce, au moyen d’une profession si puérile et si vulgaire. Néanmoins, tout en appréciant la névrospastie à sa valeur, il nous donne à entendre que cet art (il lui accorde ce nom) était fort répandu et très populaire de son temps dans l’empire grec.

En Occident, mes souvenirs ne me rappellent aucun texte qui, entre le VIe et le XIVe siècle, fasse mention de marionnettes ; mais, par un bonheur singulier, nous avons, pour remplir ce vide, mieux qu’un texte ; nous avons un monument figuré, d’une authenticité incontestable, et qui nous fournit les plus précieux renseignemens.


VI. – NOUVEAU MECANISME. – UNE MARIONNETTE CHEVALERESQUE AU XIIe SIECLE.

Il existe à Strasbourg un manuscrit de la fin du XIIe siècle, orné d’un grand nombre de curieuses miniatures, dont une, sous la rubrique assez bizarre de ludus monstrorum, représente un jeu ou une montre de marionnettes. Ce manuscrit, un des plus précieux joyaux de la bibliothèque de cette ville, renferme un ouvrage de la célèbre Herrade de Landsberg, abbesse de Hohenbourg. Cet ouvrage porte le titre de Hortus deliciarum et le justifie par l’agrément et la variété des enseignemens qu’il contient : c’est un parterre encyclopédique, composé de toutes sortes de fleurs poétiques, morales et religieuses[3]. Parmi beaucoup de morceaux en prose et en vers (qui tous, à beaucoup près ; ne sont pas de la docte abbesse), on lit à la page 215 une sorte de glose du fameux verset de l’Ecclésiaste, Vanitas vanitatum

Spernere mundum, spernere nullum, spernere sese,
Spernere sperni se, quatuor haec bona sunt.

« Mépriser le monde, ne mépriser personne, se mépriser soi-même, mépriser le mépris qu’on fait de soi, ce sont quatre choses bonnes. »

  1. Philoponus emploie le mot consacré Όρζέσθι. J’ai mis le commentaire dans la traduction.
  2. Il s’agit de la corde de l’arc de Pandarus. Eustath., Comm. In Iliad., v. 122, t. I, p. 457 ; ed. Rom.
  3. Le manuscrit de Herrade de Landsberg a été décrit, et les vers qu’il contient ont été publiés en 1818 par M. Christ. Maurice Engelhard, en un vol. in-8o, avec un atlas in-f°, où les miniatures sont reproduites. M. Alexandre Le Noble a donné une nouvelle analyse de ce manuscrit dans le tome Ier de la Bibliothèque de l’École des Chartes, t. I, 3e livraison.