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fournit cette curieuse indication. À la suite du passage que nous avons cité et où elle raconte la vie orageuse du titerero son bisaïeul, on trouve une allusion au taureau des marionnettes (toro de titeres ). Je traduis ce passage, qui offre d’ailleurs quelques autres particularités non moins notables. Après avoir loué, comme on l’a vu, l’éloquence de son bisaïeul, si goûtée des marchandes de Séville, elle ajoute : « Par malheur, ce pauvre diable tenait beaucoup de la nature du moineau franc ; il voulait continuellement s’appareiller, et il s’abandonna tellement aux femmes, qu’après lui avoir mangé son argent, ses mulets, ses marionnettes et jusqu’aux planches de son théâtre, elles lui mangèrent la santé et la vie, et le laissèrent aussi sec que ses marionnettes dans un hôpital. Quand il fut sur le point de rendre l’ame, il devint frénétique et s’abandonna à de si furieux accès de rage, qu’un jour il s’imagina être un taureau de marionnettes, et avoir à combattre une croix de pierre placée dans la cour de l’hôpital. Il l’attaqua donc en criant : « Ah ! chienne ! je te nargue ! (A perra, que te ageno !)… » Et la sœur hospitalière, qui était simple et bonne femme, le voyant ainsi mourir, disait : « O le bienheureux homme ! il est mort au pied de la croix et en lui parlant ! »

Ne vous paraît-il pas étrange qu’on écrivît en Espagne sur ce ton libertin en 1608 ? On croirait lire un conte de Bonaventure des Periers ou de Henry Estienne.

Ainsi les marionnettes se modèlent sur le génie de chaque nation chez qui elles séjournent. En France, où nous allons les voir aimées et choyées par le peuple et par le beau monde, elles se sont faites à notre image. Le modèle prêtait.


CHARLES MAGNIN.