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sont les conquêtes intellectuelles dont l’ancienne France a été redevable à la jacquerie. Ne soyons donc pas assez candides pour croire que les agitations présentes puissent profiter aux choses de la pensée ; ne nous leurrons pas d’espérances ridicules et n’invoquons ni l’exemple d’Athènes, ni les souvenirs du XVIe siècle italien : ces brillantes comparaisons seraient une insulte à nos misères. Le mieux assurément pour tous ceux qui ont conservé le goût des œuvres de l’intelligence, c’est de détourner les yeux du spectacle de la rue et de revenir à leur tâche véritable. Les plus sérieux écrivains de l’Allemagne ont compris ainsi leur devoir. L’année 1848 avait jeté une singulière perturbation dans les retraites les moins accessibles en apparence au souffle révolutionnaire. Le moindre inconvénient de ces violentes secousses, nous le savons trop, c’est de déclasser tous les esprits ; mais nulle part cette confusion n’avait été plus folle que chez nos voisins. C’est là qu’on a vu des poètes commander des corps-francs, des théologiens pérorer dans les clubs, des érudits en cheveux blancs, à la fin d’une vie passée au milieu des parchemins et des vieilles chartes, abriter gravement derrière leurs systèmes pédantesques les sombres milices de la démagogie. Aujourd’hui l’ordre commence à se rétablir au fond des ames. Dans les choses littéraires du moins, on comprend que le progrès n’est plus du côté où on le cherchait ; les esprits d’élite qui avaient cédé aux séductions du désordre s’empressent de reprendre leur place dans la société. Cette loi du travail que les mauvaises passions espèrent détruire, ils l’invoquent, ils se réfugient sous sa tutelle, et l’on dirait qu’ils ont hâte de faire oublier un abandon momentané des principes de leur vie.

À côté de ces écrivains qui s’amendent, il en est d’autres qui, sans le savoir et sans avoir quitté leurs travaux habituels, ont subi cependant la funeste influence du dehors. D’où vient ce ton âpre et violent de tel historien, ordinairement plus calme ? Pourquoi, dans les tableaux de ce romancier, jadis si gracieux et si pur, cet accent imprévu d’une démocratie malhonnête ? L’écrivain ne s’en rend pas compte lui-même ; il paie ainsi sa dette au chaos de ces deux dernières années. C’est à la critique de signaler ces tendances, de les mettre en lumière, de les révéler à ceux-là même qui en sont parfois les involontaires victimes. En groupant les esprits par familles, on embrasse de plus haut tout l’ensemble d’une période ; on voit plus nettement ceux qui reviennent au vrai, ceux qui s’en éloignent, et surtout on apprécie mieux les intelligences restées fidèles, malgré tant de secousses, aux avertissemens de la conscience et à la règle du devoir. Lorsque nous signalons des symptômes rassurans dans une société aussi tourmentée que la nôtre, prenons garde de nous faire illusion ; le mal est toujours à côté. Il faut s’élever à une vue d’ensemble, comprendre dans ses directions multiples le travail simultané des esprits ; c’est à ce prix-là seulement qu’il