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et de chacun d’entre nous tous. Qui n’aspire à ce but suprême, triompher ? Voir tous ses désirs accomplis, tous ses vœux exaucés ; voir ses pensées, vagues et abstraites jusqu’alors, devenir une réalité, une chose visible, c’est, avec le bonheur, le but des plus ardentes poursuites de l’homme mais malheur à celui dont le triomphe est le triomphe du mal ! il ne lui est plus permis de rester parmi ses semblables, il est jugé, et son triomphe est en même temps son arrêt et sa condamnation. Tout à l’heure cet homme passait au milieu de ses frères, la tête remplie de mauvaises, mais d’invisibles pensées ; maintenant, au contraire, il est entouré d’actes visibles et vivans. Tout à l’heure il pouvait mentir impunément et être réputé bon ; maintenant, fût-il bon réellement, qu’il est regardé comme un méchant. Qu’il soit puni s’écrie la foule, et le trône du triomphateur devient en même temps son tombeau. C’est ce qui est arrivé pour les triomphateurs de février ; ils sont tombés, parce qu’ils ont triomphé ; désormais les révolutionnaires sont à jamais perdus comme parti. S’ils n’avaient pas triomphé, long-temps encore ils auraient inoculé leur poison aux nouvelles générations, ils auraient eu leur place aux assemblées, leur voix délibérante dans les conseils ; mais voyez la vengeance de l’ordre moral démasqués et honnis, obligés de renoncer à leurs oripeaux philosophiques, à leur masque sévère et à tout leur costume d’honnêteté, ils sont tombés comme parti, et, en même temps que leurs systèmes perdaient le nom de philosophie et tout caractère scientifique leur personne perdait cette chose essentielle entre toutes : le crédit moral, cette considération qui oblige vos adversaires à vous écouter respectueusement, à vous répondre, à peser vos paroles et à se demander si par hasard vous n’auriez pas raison. Alors il leur a fallu descendre un degré de plus dans le mal, et aujourd’hui, grace à leur triomphe, ils ne sont plus des politiques, ni des philosophes, ni des chefs de parti ; que sont-ils ? — Ils ne sont plus que les conducteurs de l’anarchie ; ils ont été réduits, pour pouvoir vivre encore, à n’être plus que les chefs des bandes de l’émeute. Regardez la situation de l’Europe, et dites si cela n’est pas vrai.

Les faits, les hommes de la révolution de février, tout le monde les connaît ; mais les causes de ces faits, les tendances personnifiées dans ces hommes, les connaît-on bien ? La révolution, je l’ai dit, n’était pas inévitable ; cependant, le combat une fois engagé dans les conditions que nous savons tous, l’émeute une fois protégée par la garde nationale, la répression devenait impossible. Le roi Louis-Philippe ne pouvait maintenir son pouvoir ni contre la volonté ni même contre les caprices de la bourgeoisie. Les conditions de durée du gouvernement de juillet exigeaient, il faut l’avouer d’ailleurs, une trop grande persistance de bon sens et d’intelligence dans les gouvernés ; pour