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voyage ; on a supprimé les corvées, qui accablaient trop fréquemment les populations : le gouvernement peut donc, sans trop de scrupule, prétendre à vérifier les travaux des municipalités pour la répartition de l’impôt.

La dîme est, avec le vergu, la branche la plus productive des revenus de la Turquie. Elle se perçoit en nature sur toutes les productions de la terre, fruits ou céréales ; dans la Roumélie, elle atteint de plus les moutons. Il en est de même dans quelques localités de l’Asie-Mineure ; dans les autres, l’immunité se compense par une surcharge d’impôt. Afin d’avoir de l’argent au lieu de produits en nature, le gouvernement recourt à un expédient désastreux, qui est un des vices principaux, de la législation financière de l’empire : il met cet impôt aux enchères, de même que les douanes de plusieurs villes. Les adjudicataires opèrent leurs rentrées au moyen d’agens spéciaux, avec le concours des municipalités et des représentans de l’autorité centrale. On conçoit les inconvéniens de ce système. Tout vicieux qu’il soit, il est néanmoins un progrès ; si l’on se rappelle le temps où l’on voyait les gouverneurs des provinces, fermiers de la dîme et de tous les impôts, user et abuser de leur pouvoir, alors sans contrôle et sans limites, pour pressurer de mille manières les populations.

Depuis quelques années, les principaux fonctionnaires du gouvernement se sont présentés aux enchères et sont devenus adjudicataires, soit en leur nom, soit sous celui de banquiers arméniens (sarrafs). Ces banquiers sont leurs garans auprès du trésor, leurs associés dans les bénéfices ou leurs courtiers pour revendre à profit. On est tenté avec raison de se récrier contre une pareille anomalie. Il faut cependant reconnaître que l’esprit de lucre n’est pas en ce moment le seul mobile qui pousse les fonctionnaires turcs à rechercher les fermes de la dîme ; ils obéissent en même temps à la pensée du gouvernement qui a voulu établir sur ce terrain la concurrence la plus sérieuse : aussi le prix de ces adjudications a-t-il considérablement augmenté, et le gouvernement turc connaît beaucoup mieux aujourd’hui l’étendue de ses ressources. C’est, dans tous les cas, un résultat minime, si on le compare à l’immoralité des spéculations, aux gaspillages que ce système provoque, en un mot aux pertes énormes que font ainsi les populations et le trésor au profit des heureux fermiers de la dîme et des douanes. Aussi bien les inconvéniens de ce système sont sainement appréciés par le gouvernement lui-même. L’affermage, déjà condamné par le hatti-chérilf de Gulhané, vient d’être l’objet de l’attention d’un comité institué pour l’examen des questions de finances. L’avis de ce comité, composé des principaux fonctionnaires de l’empire, a été que les agens du gouvernement ne devaient plus être autorisés à se présenter aux enchères. C’est un pas décisif vers l’abolition complète de ce ruineux système ; souhaitons qu’elle ne se fasse pas long-temps attendre.

La capitation, haradje ou djizié, ne s’étend qu’aux rayas, c’est-à-dire aux sujets non musulmans du grand-seigneur. Tout adulte mâle est soumis au haradje, qui se divise, proportionnellement aux fortunes, en trois classes plus riches paient annuellement 60 piastres, la classe moyenne 30 piastres, les moins aisés 15 seulement. En général, cet impôt est considéré comme une compensation du service militaire, auquel les rayas n’ont point été astreints jusqu’à ce jour. Long-temps le haradje a été perçu par des agens spéciaux qui n’épargnaient aux rayas ni les humiliations gratuites, ni les exactions. Bien