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en effet, que Nottingham envoie au parlement le chef des chartistes. M. Feargus O’Connor, qui prononce annuellement, en faveur de la charte du peuple, un discours qui ressemble beaucoup à ceux que M. Ledru-Rollin prononçait jadis devant les électeurs du Mans et dans la chambre des députés. L’Angleterre n’a-t-elle pas eu John Frost, le chef de l’insurrection de Newport, et quelle galerie de révolutionnaires et de chefs d’émeute n’a pas fournie la jeune Irlande, depuis le clubiste Meagher jusqu’à Smith O’Brien, quittant un siége du parlement pour aller à Ballingarry se faire mettre en déroute par soixante policemen !

Le livre que vient de publier le chef de la nouvelle montagne n’est pas de nature à modifier l’opinion qu’il a donnée de lui-même. C’est un échec littéraire après un échec politique. Les hommes du moyen-âge croyaient pouvoir lire dans l’avenir en ouvrant au hasard les saintes Écritures et en appliquant au sujet de leurs préoccupations le premier verset sur lequel tombaient leurs yeux. C’est un peu ainsi que M. Ledru-Rollin a conçu l’idée de son pamphlet. Dans les loisirs de son exil, il a ouvert Montesquieu ; et il y a rencontré cette phrase : « Que la fortunes des empires maritimes ne saurait être longue. » Il a lu également dans Adam Smith que, « sous l’influence des principes du laissez-faire et de la concurrence, un jour viendra où le progrès devra fatalement s’arrêter et décroître ensuite. » L’Angleterre est une nation maritime, elle a proclamé la liberté du commerce, donc sa ruine est inévitable, et il ne reste plus qu’à informer le monde de cette découverte : M. Ledru-Rollin l’a jugée si belle, qu’au lieu de la consigner dans un article du Proscrit, il a voulu l’appuyer de preuves de son cru, et en a fait le sujet de deux gros volumes. Ses efforts n’ont pas été heureux ; pas même eu la satisfaction d’émouvoir la presse anglaise, qui, nous l’avons déjà dit, a gardé presque tout entière un dédaigneux silence. Un journal radical ; le Daily-News, s’est contenté de dire que ce livre « était le plus prodigieux amas d’erreurs qu’un seul écrivain ait jamais accumulées. » Le Times n’a vu dans la Décadence qu’un curieux échantillon d’une nouvelle façon de faire des libres, et a réclamé pour le procédé de l’auteur « une place spéciale à la future exposition de l’industrie. » Les Anglais, qui sont moins familiers que nous avec la littérature de pacotille, avec les livres découpés dans les ouvrages antérieurs, n’ont pas été peu surpris de découvrir que ces deux énormes volumes se réduisaient à un factum d’avocat fait avec des ciseaux. Retranchez en effet une longue série de pièces parasites vingt fois publiées, retranchez les chapitres entiers empruntés de ci de là : il ne restera qu’une assez maigre brochure dont l’Angleterre a fourni le titre, dont l’objet réel est la France, un plaidoyer perpétuel en faveur des actes ou des théories du socialisme français. Les autorités de l’écrivain ne sont pas moins étranges que sa façon de composer. Deux auteurs français