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tout ce dont on a parlé, sur l’état de nos rapports avec l’Allemagne, sur le besoin d’avoir quarante mille soldats de plus en France, il n’y avait pas beaucoup de dissidences possibles. Nous ne sommes pas convaincus qu’il en eût été de même, si l’on eût voulu aborder la question résolue aussitôt que posée dans le rapport de M. de Rémusat, la question de savoir où est le plus grand pouvoir public. M. de Rémusat, tout plein du sentiment de la prérogative parlementaire, n’a pas résisté au désir d’en bien marquer la place et l’étendue, puisque la circonstance l’invitait à le faire. Ç’a été l’une de ces pointes par où s’est déjà trahie et se trahira plus d’une fois encore l’idée très légitime, mais plus ou moins impatiente, qui couve de tous les côtés, comme nous le reconnaissions tout à l’heure, jusque sous les meilleures apparences de conciliation, l’idée fixe de maintenir des réserves, même en échangeant des complimens. On est très fort d’avis de concilier ce qu’il y a de conciliable dans les positions respectives, mais on n’entend pas laisser croire que l’on cède quoi que ce soit de son terrain. En déclarant solennellement la neutralité de la France, le président avait pris une initiative dont tout le monde louait l’à-propos ; cependant la sagesse parlementaire, et c’est là son tort en même temps que son mérite, consiste surtout à prévoir le mal du lendemain au milieu même du bien de la veille. Si l’assemblée était cette fois engagée dans une politique de son goût par la déclaration du message, il se pouvait qu’on n’anticipât point toujours avec le même bonheur sur ses sentimens, et, pour tout dire, sur son droit. Aussi la commission chargée d’examiner le projet de loi relatif à la levée des quarante mille hommes a-t-elle proposé au pouvoir législatif, par l’organe de M. de Rémusat, de reprendre à son compte cette déclaration faite devant l’Europe par le pouvoir exécutif, pour qu’il fût très nettement compris que c’était la voix de l’assemblée nationale qui « seule engageait définitivement la France. » L’assemblée a donc signifié de la sorte qu’elle voulait la paix comme le président, la neutralité, une stricte neutralité comme le président, comme le président enfin la neutralité armée. Seulement elle a tenu à constater avec une très particulière insistance, que c’était elle qui avait le droit de vouloir tout cela la première.

Cette démonstration, qui n’était peut-être pas très urgente, n’avait rien pourtant qui ne fût bien fondé, quoique après tout, malgré le bien fondé de sa cause, l’assemblée n’ait fait là que prouver surabondamment la fausseté générale de la situation. La charte de 1848 donne au pouvoir législatif le droit de paix et de guerre, non point par la voie indirecte du consentement aux dépenses comme la charte monarchique, mais directement et formellement aux termes mêmes du rapport de M. de Rémusat, « c’est l’assemblée qui prononce le mot décisif. » Or il est évident qu’en principe absolu et en dehors de toute innovation républicaine, « le mot décisif » sur ce terrible problème de la guerre ou de la paix appartient plutôt au pouvoir exécutif qu’il n’est du ressort d’un corps délibérant, où la responsabilité ne pèse assez sur personne, parce qu’elle est trop divisée entre tous. La majorité de l’assemblée, qui n’est pas suspecte d’illusions trop favorables à la constitution de 1848, ne s’en est pas moins emparée de l’argument que celle-ci lui fournissait pour le cas, il est vrai, de moins en moins probable où le pouvoir exécutif s’aviserait de son chef, et trop tôt et trop à son bénéfice, de rentrer par cette porte dans les vraies traditions de gouvernement. La majorité ne s’abuse pas sur la bonté intrinsèque des clauses restrictives que