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même avec lequel il rappelle le contrat pour demander qu’on le tienne, il y a, très involontairement encore une fois, je ne sais quelle identification trop intime entre la cause de la religion et la personne de M. de Montalembert.

Le mal que nous trouvons à cela, c’est qu’on ne distingue plus tout-à-fait si cette voix impérieuse est celle de la religion qui veut qu’on obéisse à M. de Montalembert, ou celle de M. de Montalembert qui veut qu’on obéisse à la religion. L’exigence un peu tracassière avec laquelle le spirituel orateur s’est emparé de la tribune dans cette rencontre, le prix trop infini qu’il mettait à en jouir par lui-même, ont gâté l’effet du travail qu’il a lu en donnant à cette lecture le faux air d’une satisfaction trop personnelle. Des membres du bureau de M. de Montalembert, plus habitués aux affaires et plus désintéressés dans celle-là, estimaient que la cause, d’ailleurs très belle, du repos dominical gagnerait à être exposée devant l’assemblée par un rapporteur d’un tempérament plus neutre. Leurs observations n’ont point triomphé du parti pris avec lequel M. de Montalembert voulait faire de cette loi nouvelle une affaire à lui il ne faut pourtant point d’amour-propre d’auteur dans la vie politique.

Le dirons-nous ? cet amour-propre ne nous étonne pas chez M. de Montalembert. Il y a chez lui plus qu’il ne croit d’un personnage qu’il fait profession de ne pas aimer, et réellement on en veut toujours plus ou moins à qui vous représente trop bien le faible que vous sentez en vous-même. Nous le disons donc en toute aménité : M. de Montalembert est un lettré sous l’enveloppe d’un homme politique, et nous sommes à peu près sûrs que nous n’apprenons là rien de neuf à ceux qui l’ont le plus pratiqué. Il a les recherches et les inégalités d’un esprit de lettré, il a de la phrase et de la manière de lettré, il a des passions de lettré qui ne sont pas toujours des sentimens de chrétien. Il a ce qui caractérise surtout le lettré, des traditions d’école, et il ne s’en défait pas, et elles jurent un peu avec le fonds d’élégance qui distingue son talent. Ces traditions le rapprochent trop souvent, malgré tout ce qu’il a de monde, du faux goût des sermonaires romantiques. Il s’égare dans les étrangetés insoutenables des paradoxes les plus inconséquens. Il essaiera, je suppose, de démontrer que Dieu récompense tout de suite, par un surcroît de prospérité matérielle, l’observation rigoureuse des fêtes et dimanches, et il citera les pays hérétiques d’Amérique ou d’Angleterre, sans penser que les pays catholiques d’Espagne et d’Italie donnent un démenti assez embarrassant au merveilleux de sa thèse. Ou bien il parera son discours de souvenirs historiques dont la pompe dépassera beaucoup la justesse ; sa nature, si fine, si déliée qu’elle soit, ne le préservera point de tomber dans le lyrisme de feu M. de Marchangy et d’emprunter à la Gaule poétique. Il a jadis inventé les fils des croisés ; il parlait hier dans son rapport écrit de la vieille foi de Clovis, ce qui peut être une périphrase très sonore sans être un argument très direct en faveur du repos forcé des dimanches.

On nous pardonnera cette esquisse, qui est venue insensiblement au bout de notre plume, et que nous laissons avec grande révérence au frontispice du projet de loi dont M. de Montalembert s’est fait le rapporteur. Il en coûte plus de dire la vérité à ses alliés que de la dire à ses ennemis, mais c’est le moment ou jamais, lorsque vous refusez de les suivre sur des chemins qui sont trop les leurs pour être les vôtres : encore faut-il leur déclarer pourquoi. Nous ignorons quel sera le sort de la loi maintenant livrée aux discussions parlementaires.