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est en raison inverse du nombre des auditeurs, c’est tout simplement méconnaître la valeur des mots qui jusqu’ici ont été acceptés d’un consentement unanime, comme exprimant une pensée parfaitement claire, parfaitement définie ; c’est renverser toutes les notions du juste et de l’injuste, et s’attribuer un droit que la raison ne pourra jamais consacrer. M. de Lamartine avoue qu’il rougirait de raconter sa vie intime devant un cercle d’amis, et il parle sans rougir devant la France, devant l’Europe ! Que sa parole soit portée aux quatre coins du monde, plus elle retentira, plus sa conscience sera tranquille. C’est une étrange manière de se justifier. L’amertume de sa réponse, la colère qui respire dans cette singulière apologie, montrent assez clairement que sa cause ne lui paraît pas bonne. S’il avait conscience de son bon droit, s’il était vraiment sûr de n’avoir rien à se reprocher, il parlerait d’une voix plus calme, il arrangerait ses pensées dans un ordre plus logique, et surtout il ne se laisserait pas emporter jusqu’à dire : « Réjouissez-vous, battez des mains, vous qui m’avez blâme, vous qui m’avez accusé de sacrilège ! Toutes vos espérances, tous vos, souhaits sont dépassés. J’ai vendu le récit de mes souffrances, j’ai livré aux regards de la foule les plaies de mon cœur pour sauver les vignes et les forêts que j’avais reçues en héritage. Eh bien ! soyez contens, mon héritage n’est pas sauvé. Le salaire que j’ai recueilli n’a pas suffi pour les racheter ! » Ce mouvement oratoire étonnera le public sans le blesser, car, s’il se trouve dans la foule même que M. de Lamartine appelle impersonnelle bien des cœurs qui se sont associés à notre blâme, il n’y en a pas un qui se réjouisse de la pauvreté du poète. Cette foule qu’il croit indifférente n’a pas appris sans tristesse qu’il lui faudrait bientôt dire adieu à l’ombre séculaire de ses forêts.

La question morale épuisée, reste la question littéraire. L’autobiographie est-elle de la part des poètes un calcul bien entendu ? Je ne le pense pas, et mon avis repose sur des raisons tellement claires, qu’il sera, je crois, partagé par la majorité des lecteurs. Les poètes sont des êtres privilégiés. Le nom même qu’ils portent indique le don précieux qu’ils possèdent. Ils inventent, ils créent. Avec les débris de leurs souvenirs, agrandis, transformés par l’imagination, ils composent des scènes plus belles, plus animées, plus émouvantes que la vie réelle. N’est-ce pas manquer à leur vocation, n’est-ce pas déchirer leurs titres de noblesse, que d’exposer à nos yeux toutes les ruines où ils ont ramassé les pierres de leur édifice ? Craignent-ils de nous sembler trop grands ? Est-ce de leur part modestie ou présomption ? Est-ce pour ménager nos yeux qu’ils nous expliquent l’origine de leur génie ? Si d’aventure ils croient ajouter à leur grandeur en nous montrant leur point de départ, ils s’abusent étrangement. Pour les admirer, pour applaudir à leurs travaux, nous n’avons pas besoin de savoir quel jour,