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de capitaine de rancheros. Albino avait dès-lors craint que ma vie ne fût en danger, et il s’était mis bravement en campagne. Quand il eut achevé son récit et que je l’eus remercié de sa secourable intervention, le contrebandier approcha sa torche du corps en apparence inanimé du toreador.

— Ce ne peut être que Marroquin, dit-il d’un air de dégoût. Pouah ! venez avec moi, et vous verrez son œuvre de la nuit.

Appuyé sur le bras d’Albino, je me dirigeai vers les bords de la barranca. Un des hommes du contrebandier descendit au fond et promena sa torche dans toutes les anfractuosités du ravin. Des monceaux de cadavres jonchaient le sol de la fondrière.

— C’est l’œuvre d’Hidalgo, il faut bien vous l’avouer, me dit Albino à voix basse. D’après la dénonciation qui lui a été faite d’une conspiration ourdie, prétend-on, entre les Espagnols de Guadalajara et un moine carmélite de San-Diego, Hidalgo, de son autorité privée, a condamné les conjurés à mort, et les a fait amener ici la nuit en silence pieds et poings liés. Le toreador Marroquin est l’exécuteur de ses hautes œuvres : c’est à lui qu’ont été remis les prisonniers. On en compte jusqu’à ce jour sept cents à peu près égorgés ainsi. On murmure contre l’homme qui a ordonné ce massacre. Moi, je me suis affranchi de sa domination. Venez, j’ai d’autres choses à vous communiquer.

Je jetai, avant de suivre le contrebandier, un dernier coup d’œil sur les victimes de cette affreuse boucherie, et je m’expliquai les bruits étranges et sinistres que j’avais entendus une heure ou deux auparavant. Appuyé toujours sur le bras d’Albino, je regagnai l’hacienda de la.barranca del Salto. Au lieu d’entrer par la cour principale, Albino me fit faire le tour du labyrinthe ruiné, et m’introduisit par une large brèche dans les spacieuses dépendances de cette ferme déserte. Une porte secrète nous conduisit à un vestibule sur lequel s’ouvraient plusieurs chambres dans chacune desquelles quatre-vingts hommes eussent pu coucher à l’aise. Une cour voisine abritait sous ses hangars les chevaux des intrépides soldats enrôlés sous les ordres d’Albino.

— Vous le voyez, le vice-roi Venegas n’est pas mieux logé que moi, me dit Albino. Personne ne viendra me troubler ici. Celui de mes hommes qui a tiré sur vous a manqué à sa consigne et sera puni en conséquence. Ce n’est pas à coups de fusil que nous recevons les voyageurs qui cherchent un refuge dans cette hacienda ruinée. Nous les mettons à contribution quand ils se présentent, et cela par toute sorte de moyens moins vulgaires et moins périlleux qu’un assassinat. Je suis ici un chef indépendant, et je pille tous les convois qui passent sans rendre de compte à personne.

Je félicitai l’ancien contrebandier. Albino jugeait sainement l’état des affaires : il connaissait les dispositions de beaucoup d’insurgés prêts à s’affranchir du joug d’Hidalgo ; il prévoyait pour le curé rebelle une