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paraissant prêter l’oreille à des bruits que nous n’entendions pas. Je l’examinai quelque temps ainsi à la lueur du feu qui rougissait ses longs cheveux gris, et allumait parfois des étincelles dans ses yeux noirs. Je ne le vis bientôt plus : je dormais.

Le jour ne devait pas être loin, quand je fus réveillé par les cris de qui vive ! que répétaient les sentinelles. Je me levai sur mon séant. Albino était encore endormi ; quant à Œil-Double, il était dans la position où je l’avais laissé. J’éveillai le contrebandier, et je jetai quelques branchages dans le foyer pour le raviver. Quelques instans après, deux de nos soldats amenaient près de nous un homme à cheval, dont ils tenaient la bride. Ce cavalier paraissait éprouver à la fois une vive mortification et quelque frayeur. Une manga bleue couvrait ses épaules.

— Qu’est ceci, messieurs ? disait-il ; suis-je ici parmi des amis ou des ennemis ? et de quel droit arrêtez-vous des officiers de l’armée indépendante ?

— Du droit qu’on a de savoir si ce sont des amis ou des ennemis qui s’approchent la nuit de nos bivouacs, répondit Albino ; en outre, nous serions bien aises de trouver un chrétien qui sût lire et écrire, ou lire seulement, pour nous rendre un service, et, si vous êtes officier comme vous le dites, peut-être pourriez-vous…

Albino fouillait dans ses poches pour en tirer le papier qui nous était si étrangement parvenu. Pendant ce temps, je regardais attentivement la physionomie du métis ; celui-ci, à son tour, fixait ses yeux scrutateurs sur le cavalier. L’examen ne parut pas lui être favorable, car il retint le bras d’Albino prêt à remettre le papier entre les mains de l’étranger.

— Je flaire la trahison, dit-il à voix basse, mais assez haut encore pour que le cavalier l’entendît.

— Depuis quand, drôle, s’écria-t-il avec fureur, le lieutenant-colonel Elizondo a-t-il mérité d’être si grossièrement outragé ?

Et l’officier, écartant vivement son manteau, nous montra sur sa veste d’uniforme de campagne les insignes de son grade. Nous nous rappelâmes en ce moment le nom de l’auteur du soulèvement des provinces de Cohahuila et du Nuevo-Santander, et, sans toutefois communiquer la dépêche interceptée au colonel, nous le priâmes d’agréer nos excuses, en rejetant la mesure de rigueur à laquelle on l’avait soumis sur les nécessités de la guerre. L’officier reçut ces excuses avec quelque hauteur ; il lança un regard haineux sur le métis, piqua son cheval et disparut.

Quand il fut parti, Œil-Double prit une branche enflammée à la lueur de laquelle il étudia attentivement la configuration des pieds du cheval de l’officier sur la terre ; il en mesura avec de petites branches vertes la longueur et la largeur, mit ces branches dans sa poche ; puis, comme en se parlant à lui-même : — Elizondo ! l’Indien ! dit-il. Le requin