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Il n’est pas mort ? demandait-elle en nous regardant l’un après l’autre ; il ne peut pas être mort ! Le médecin vous le dira ; où est le médecin ?

Quelqu’un répondit qu’on l’avait envoyé chercher. Je m’approchai alors pour l’encourager, et je voulus l’entraîner doucement loin du cadavre ; mais elle s’y rattacha des deux mains, comme si mon effort lui eût tout révélé, et sa douleur fit explosion. Assise à terre, elle avait ramené la tête de Pierre-Louis sur ses genoux, elle le regardait avec des sanglots et des cris si éperdus, que les plus endurcis en étaient remués jusqu’aux entrailles.

Nous avions tous reculé involontairement, et personne ne trouvait de paroles pour un tel désespoir, qui, loin de s’affaiblir, semblait trouver de nouvelles forces dans son expansion. L’accent de Jeanne devenait plus rauque, ses yeux plus hagards ; tous ses mouvemens prenaient je ne sais quoi de sauvage, et ses sanglots étaient entrecoupés par un rire nerveux qui donnait froid au cœur. Évidemment le coup avait été trop violent et trop inattendu ; cet esprit, déjà ébranlé, errait sur la pente de la folie. Je me joignis en vain à ses parens et à ses amis pour la rappeler à elle-même ; nos voix ne lui arrivaient plus. Accroupie près du mort, l’œil grand ouvert et les lèvres agitées d’un frisson convulsif, elle murmurait des mots insensés qui ne s’adressaient à personne. Nous nous regardions consternés. Un grand silence s’était fait autour d’elle ; il fut subitement interrompu par un cri faible et plaintif : c’était l’enfant qui sortait de sa torpeur et appelait sa mère !

Cette voix frêle traversa la douleur de Jeanne ; elle arrêta sa raison fuyante. La saulnière s’était retournée d’un brusque mouvement ; le petit Pierre, redressé, apparaissait au-dessus du berceau, et une de ses mains tendues semblait implorer. La mère courut à l’enfant, et l’enveloppa dans ses bras avec un cri qui partait tellement des profondeurs de l’ame, que tous les yeux se mouillèrent.

Le médecin entrait. On l’entoura et on le conduisit vers Pierre-Louis, qui avait été porté sur son lit. Il appuya sa main contre le cœur du saulnier, plaça un miroir devant ses lèvres, secoua la tête, et, sans rien dire, ramena la couverture sur son visage. Jeanne chancela, elle avait compris ; mais l’enfant l’appelait de nouveau. Le médecin vint à lui, se pencha sur le berceau, et, après avoir attentivement examiné les résultats de la crise, déclara qu’il était sauvé. La saulnière ne put retenir une exclamation de joie ; ses yeux, secs jusqu’alors, laissèrent jaillir un flot de larmes ; elle tomba à genoux en joignant les mains ; la reconnaissance de la mère avait amorti le désespoir de la veuve.

Le surlendemain, je me joignis au convoi funèbre qui conduisit le mort au cimetière. Les hommes marchaient les premiers, portant le petit manteau par-dessus l’habit de toile blanche destiné au travail ;