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le sait de reste, être encore, qu’on le veuille ou non, au cœur de la politique contemporaine ; je pourrais ajouter au cœur même de la pensée moderne. Et certes, pour le dire en passant, si quelque chose dispense d’établir une fois de plus que la révolution n’est pas un fait accidentel, suivant la vieille thèse que nous voyons le paradoxe reprendre en sous-oeuvre, c’est cette fécondité même qu’elle ne cesse de déployer, tant dans la sphère des réalités positives que dans celle des idées. Dieu n’a donné à un pur accident une telle puissance ; ni pour le bien, ni pour le mal, ni pour le vrai, ni pour le faux. Que de systèmes ne produit-elle pas tous les jours cette révolution, fille elle-même, en partie, des systèmes ! Les théories même plus spécialement philosophiques, en Allemagne et en France, ne semblent-elles pas, pour la plupart, s’échapper de son sein, comme on a dit que toute l’antique poésie sort d’Homère ? Ainsi qu’une religion, elle a eu et elle a ses apôtres, ses illuminés, ses martyrs, ses inquisiteurs, ses schismes, ses hérésies, ses sectes sans nombre. Depuis que les pieuses histoires ne paraissent plus guère charmer et enflammer ses veilles, c’est là que le peuple vient le plus souvent s’enivrer de souvenirs, chercher ses objets d’imitation, de culte. La révolution est à peu près pour lui ce qu’ont été l’Evangile et les saintes légendes au moyen-âge, et la Bible au XVIe siècle, cette tradition qui, sous une forme ou sous une autre, n’est guère moins nécessaire à son ame que le travail à ses bras. Raison de plus qui fait de la révolution française une question actuelle se posant impérieusement aux préoccupations purement philosophiques du temps comme aux plus matérielles et aux plus pratiques ; raison de plus aussi pour faire la part de ce qui revient à la révolution et de ce qui n’appartient qu’à ses historiens dans les principales erreurs qui nous travaillent !


I

De 1800 à 1814, on parle peu de la révolution ; le sujet n’était pas pour plaire au maître : il était gênant pour ces jacobins anoblis, trop heureux de cacher leurs taches de sang sous une pourpre récente. L’ère nouvelle, c’était l’empire ; tout le reste paraissait vieux comme le sacre de Clovis à Reims, vieux comme les proscriptions de Marin, et de Sylla. Le fossé de Vincennes, placé de l’autre côté de l’histoire, marquait la séparation des deux époques : limite qui garantissait de part et d’autre l’assurance mutuelle du silence. Vint la restauration ; elle nous reportait en plein dans le passé : serait-ce en 1788 ou en 1789 ? Là était la question. 1788 parut être plus de son goût. La France s’obstinait à préférer l’autre date : de là une lutte acharnée. Retracée sous cette influence, l’histoire de la révolution dut nécessairement s’y