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la foi du serment, en payant des droits, en faisant l’apprentissage et le chef-d’œuvre, et des métiers libres que chacun pouvait exercer sans formalités préalables. Il y eut de même des villes libres et des villes jurées. Il arrivait de là que dans les métiers organisés, dont l’accès était difficile et coûteux, le nombre des travailleurs ne se trouvait pas en rapport avec les besoins de la consommation, tandis qu’il y avait encombrement dans ceux où régnait la liberté. Telle était pourtant la salutaire influence de ce dernier régime que, malgré l’encombrement, les métiers libres étaient beaucoup plus prospères, et, comme exemple, il suffit de citer à Paris le faubourg Saint-Antoine, dont la population, sous l’ancienne monarchie, ne fut jamais soumise au système des maîtrises ou des jurandes. C’est là un fait incontestable, qu’un grand nombre d’écrivains se sont cependant obstinés à nier en prenant, ainsi que l’a fait M. l’abbé Gaume, des lois oppressives pour des lois protectrices, et le système corporatif, qui menait droit au monopole, pour l’application la plus large de la fraternité chrétienne.


II – La hiérarchie des métiers – L’apprentissage et la maîtrise – Le compagnonnage

De quelque source qu’ils émanent, les statuts des corporations, très variés dans le détail, présentent tous un cadre uniforme, et chacun de ces règlemens offre pour la corporation qu’il concerne un code distinct et complet qui fixe tout à la fois les attributions du métier, la condition des personnes, l’emploi des matières premières, la police de la fabrication et celle de la vente. Malgré le changement des temps et les besoins nouveaux que fait naître le développement de la civilisation, ces statuts, à la distance de plusieurs siècles, restent toujours les mêmes quant à l’esprit général, et c’est là surtout qu’on retrouve cette immobilité, cette répulsion vive contre toute innovation qui forme l’un des traits caractéristiques des institutions du moyen-âge. Un grand nombre de corporations furent long-temps gouvernées par des règlemens qu’elles ne pouvaient, à cause de leur date, ni lire ni comprendre, et à Paris, dans le XVIIIe siècle encore, quelques-unes étaient régies par les ordonnances du prévôt des marchands. On peut donc, en bien des points, faire abstraction de la différence des dates, quand il s’agit d’analyser ces curieux monumens de notre ancien droit industriel. Voyons d’abord ce qui concerne la condition des personnes.

Dans toutes les professions, on trouve quatre classes distinctes : les maîtres, les apprentis, les compagnons et les veuves. Au sommet de la hiérarchie sont placés les maîtres, c’est-à-dire les artisans qui avaient reçu l’investiture du métier par la maîtrise, et qui pouvaient travailler pour leur compte et faire travailler des ouvriers. Il fallait, pour être maître, professer la religion catholique, être enfant légitime, sujet du roi de France, quelquefois même natif de la ville où l’on voulait s’établir. Le libre exercice de l’intelligence et de la force se trouvait ainsi subordonné au hasard de la naissance, le droit de vivre à une question de foi, et la société décrétait la misère en multipliant les exclusions.

L’apprentissage était le premier degré de la maîtrise ; venait ensuite le chef-d’œuvre exécuté sous les yeux des gardes ou examinateurs, reçu par eux, soit en présence des officiers royaux, soit en présence des magistrats municipaux,