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pouvaient pas manquer de devenir bientôt ses bourreaux[1]. » Mirabeau voulait encore ménager au roi une garde particulière et le faire sortir de Paris. Il pensa aussi à Metz comme lieu de refuge : en un mot, Mirabeau, qui avait été témoin dans l’affaire qui nous occupe, reproduisit le plan de M. de Favras et le proposa deux mois plus tard à la cour ; mais il ne devait être mis à exécution que lorsqu’il devint d’une réussite impossible. Le départ pour Montmédy en 1791 et l’arrestation de Varennes furent le dénoûment fatal de ces projets que les amis du roi avaient conçus tour à tour dans des circonstances plus favorables.

Cependant le procès se continuait. Séparé de sa femme depuis le jour de son arrestation, M. de Favras lui écrivait après les audiences des lettres qui ont été publiées, et qui peignent admirablement son caractère. Ces lettres, qui étaient remises décachetées à Mme de Favras, sont assez rares, et il nous sera permis d’en reproduire quelques fragmens. « Je serai transféré ce soir au Châtelet, ma chère Caroline, écrivait-il le 7 janvier 1790 ; mais toi, tu restes encore à l’Abbaye, je n’entends pas bien pourquoi… En m’éloignant du lieu où je te laisse, je sens un vif regret : c’était toujours quelque chose de vivre sous le même toit et d’apprendre de tes nouvelles plusieurs fois par jour ! Mais songe que l’honneur va avant toutes choses ; si, à tes yeux, le mien n’est pas entaché, il l’est aux yeux d’une multitude abusée, et je n’en serai que plus digne de toi, lorsque je serai parvenu à me justifier auprès d’elle. Je finis par t’assurer, ma chère enfant, que ton image me suivra partout, et que mon ame ira toujours au-devant de la tienne… » D’autres fois il lui parlait avec plus de détails de son procès, bien que ses billets eussent été plusieurs fois interceptés à cause de ces confidences. «… Réjouis-toi, lui disait-il, en pensant qu’il serait encore préférable d’être coupable aux yeux des hommes que de l’être vis-à-vis de sa conscience. Je ferai tout ce qui sera en moi pour mettre mes actions à découvert, et je défie, quoi qu’on puisse entreprendre, d’être long-temps inculpé d’attentats prémédités contre la nation ou de violence contre mon roi. Le surplus de ce qu’on met à ma charge est trop grossier pour que je puisse même supposer que j’ai besoin de défense. O mon amie, mon amie, que de perversité, que de méchanceté dans les hommes, et quelle fatalité dans les circonstances !… Il faut se résigner à la grace divine. » Les consolations qu’il adresse à Mme de Favras sont nobles et touchantes. « Quelle satisfaction pour moi, chère bien-aimée, de voir que mes lettres font une distraction à tes peines ! tu m’es si chère, et j’ai tant de raisons de t’aimer !… Tu ne verras jamais en moi aucun changement au titre précieux d’un

  1. Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de Lamarck.