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vestige de civilisation européenne, un esclave blanc ou mulâtre expirer sous le fouet d’un planteur noir. Il paraît avéré enfin qu’au printemps de 1849, les insurgés de Sainte-Lucie ont assailli le palais du gouverneur et incendié quelques habitations au cri de vive Soulouque ! Mais l’homme qui sert de prête-nom à ces vagues desseins est à coup sûr le dernier qui pourrait y tremper. En apprenant quel rôle lui assignaient des espérances insensées ou coupables, Soulouque manifesta autant d’irritation que d’effroi, et il s’écria : C’est encore un tour de ces coquins de mulâtres pour me brouiller avec la France, avec l’Angleterre, avec tout le monde ! Quant aux sujets de Soulouque, l’idée de revendiquer à l’extérieur le bénéfice d’une solidarité de race leur est, s’il est possible, plus étrangère encore qu’à lui. Pour n’en donner qu’une preuve, la nouvelle de l’émancipation décrétée en 1848 dans nos colonies, nouvelle qui parut causer une véritable joie au futur empereur, les trouva d’une indifférence absolue.

Puisque nous voilà tranquillisés de ce côté, nous pouvons parler en amis de cet empereur comme il n’y en a guère et de cet empire comme il n’y en a pas.

La première question qui se présente est celle de durée, et cette question nous paraît résolue en faveur de Faustin Ier. Les trois précédens despotes noirs ont succombé sans doute par la coalition des haines et des terreurs que Soulouque accumule depuis trois ans autour de lui ; mais Toussaint, Dessalines et Christophe étaient entourés de généraux de la guerre de l’indépendance, c’est-à-dire d’autant de rivaux d’influence que le souvenir d’une longue égalité rendait fort peu endurans à l’endroit des tyranniques fantaisies de celui d’entre eux dont ils avaient fait leur maître, et qui, disposant chacun d’une autorité sans bornes sur la partie de l’armée qu’ils avaient organisée, se trouvaient parfaitement en mesure de traduire leurs rancunes en rébellion. Autour de Soulouque, rien de semblable. Parfaitement ignoré jusqu’au jour où un expédient électoral l’a porté au pouvoir suprême ; il exerce sur son tremblant entourage l’ascendant de la surprise et de l’inconnu, et l’illusion si complète où on était tombé dès l’origine sur son caractère donne même à l’abattement général le côté exagéré de toute réaction. En second lieu la génération guerrière et disciplinée des trois époques dont il s’agit, celle que l’ancienne agrégation de l’atelier avait groupée en masses compactes et distinctes, en véritables partis, autour de chaque chef, a complètement disparu ; une longue paix eût suffi à empêcher d’ailleurs la reconstitution des grandes influences militaires d’autrefois. La plupart des généraux actuels ne le sont que de nom, par une fiction qui consiste à assimiler les principales fonctions civiles aux grades militaires, correspondans, et, quant aux véritables généraux, ils participent de l’immense impopularité qui