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avec ses appareils élévatoires, tels sont les élémens principaux qui constituent un arsenal à vapeur. Le voyageur, celui même qui, comme nous, a visité les célèbres usines de la Belgique ou de l’Angleterre, ne peut refuser son admiration a Indret ; on s’y défend difficilement d’un sentiment d’orgueil pour la France. Naguère 1,000 ouvriers y travaillaient en permanence ; on en a employé jusqu’à 1,800 ; leur nombre est tombé a 800 depuis février, mais ceux qui restent sont fort habile et serviraient au besoin de clefs d’atelier ; les cadres sont disposés de manière à pouvoir doubler le personnel au premier ordre, en prenant des travailleurs de toutes mains. Les hommes d’élite sont logés sur l’île, dans l’établissement ; ils forment une petite colonie tout imprégnée de l’esprit de famille et d’un sentiment de régularité qui charme. La vie de bohème, cette vague aspiration d’un retour à l’état sauvage, en est exclue. En parcourant les deux rues formées par leurs petites maisons si bien ordonnées, si propres, et groupées autour de l’église et du marché, on se ressouvient de l’établissement qui a fait la gloire de M. Owen. La fonderie ne livre que des produits comparables aux meilleurs fontes de l’Europe : il faut voir jeter au moule les plaques de fondation de quelque appareil de frégate à vapeur, des pièces de 10,000 à 12,000 kil. ; on croirait voir un ruisseau de feu qui se perd dans les sables. Les forges soudent au martinet des faisceaux de bandes de fer, lesquels, transformés en arbres de roue pour bâtimens de 400 à 500 chevaux, pèsent 8,000 ou 10,000 kil. tout forgés. L’outillage, quoique suffisant aujourd’hui, devra suivre les progrès de l’art. L’ajustage atteint : un degré défini et de perfection qu’aucune autre nation ne surpasse.

Dans ce vivant foyer de l’industrie moderne, il faut que nous changions les figures de notre vieille rhétorique : le sable, cette image que nous croyions éternelle de l’inconstance et de l’instabilité, devient ici la plus solide base et se transforme même en enclume, dès qu’on l’emprisonne. Avec quelle précision la tôle chauffée à blanc et battue à grands coups sur le moule ou mandrin en sable prend toutes les courbures que la surface gauche du navire lui imprime ! et comme les cornières s’infléchissent aisément suivant le tracé des couples sur la plate-forme ! Qu’on regrette amèrement que l’ébranlement causé par les boulets sur les coques en tôle étende si loin ses ravages, disloquant tout, rivets, courbatons et doublage ! L’esprit ne peut se décider à retourner aux vieux couples en bois taillés avec tant d’art et si chèrement dans le tronc des chênes, tant il se sent à l’aise au milieu de cette atmosphère cyclopéenne. Là, tout est en harmonie, et la force qui remue le fer, qui le plie, qui le tord, qui le coupe, est toujours supérieure, aux masses même les plus rebelles.

Notre pays peut citer avec orgueil son établissement d’Indret, il n’en