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reconnaissent dans Phèdre et dans Oreste. Talma, malgré l’excellence de son talent, malgré le génie qui l’animait dans tous ses rôles, était oblige, pour enlever les applaudissemens du parterre, de se plier aux conditions de la scène. Malgré son ardent amour pour la vérité, malgré sa passion constante pour le naturel, il ne pouvait se dispenser d’accentuer avec une exagération involontaire certains effets de pantomime, et, si je le rappelle, ce n’est pas pour lui en faire reproche : c’était une des nécessités de son art ; la simplicité absolue n’eût as été comprise. Ainsi Talma lui-même très utile sans doute à consulter, ne devait pas servir de modèle unique au peintre qui voulait représenter Oreste. Quant à Mlle Duchesnois, je confesse très franchement que je n’ai jamais rien compris à sa renommée ; c’était à mes yeux un talent parfaitement faux. Quoiqu’elle eût reçu les avis d’un poète ingénieux, elle faisait du rôle de Phèdre une perpétuelle cantilène. Quel que fût son interlocuteur, OEnorie, Hippolyte ou Thésée, elle ne consentait jamais, à parler simplement ; elle soupirait, elle fredonnait, et je ne me souviens pas d’avoir surpris dans sa voix un accent naturel. Sa renommée est une de ces bévues grossières dont la tradition n’est malheureusement pas perdue : il était donc très imprudent, sinon insensé, d’interroger le masque et la pantomime de Mlle Duchesnois pour trouver le vrai type de Phèdre, car le masque et la pantomime suivaient nécessairement toutes les inflexions de sa voix. Aussi les deux tableaux de Guérin, bien que défendus avec ardeur par ses nombreux amis, sont-ils demeurés pour tous les hommes clairvoyans entachés de manière et de faux goût. Je ne doute pas que l’auteur n’eût évité cet écueil en relisant l’Hyppolyte et l’Andromaque d’Euripide. Si le dernier des tragiques grecs, dont nous possédons les œuvres, ne peut se comparer ni à Eschyle ni à Sophocle pour la grandeur et la simplicité, il est certain pourtant qu’il sait, au milieu de ses déclamations, trouver des accens vrais, des accens pathétiques. Bien que Racine ait pris dans Virgile l’argument dramatique de son Andromaque, les conseils du poète athénien n’étaient pas à négliger pour la représentation d’Andromaque et de Pyrrhus Talma et Mlle Duchesnois ne pouvaient remplacer la lecture d’Euripide.

Didon écoutant le récit des malheurs d’Énée offre des qualités fort remarquables. Il est impossible de ne pas rendre justice à la pose de Didon, tout à la fois gracieuse et nonchalante. L’inflexion générale du corps est d’une grande souplesse et se recommande par des lignes très heureuses. Le visage tout entier écoute bien Guérin a très habilement rendu l’expression du poète latin, qui nous représente la reine de Carthage suspendue aux lèvres d’Enée. L’attitude voluptueuse du personnage se concilie sans effort avec l’attention qui respire dans tous les traits. On a trouvé le héros troyen quelque peu insignifiant, et j’avoue