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eunuque, s’avancer dans le rayon de lumière que le soleil dardait au travers de la croisée. Elle se tint droite sans bouger devant le pacha, qui, redevenu plaisant, jouissait de notre incertitude, et prolongeait à plaisir notre attente. Il excita si bien notre curiosité, nous provoquant de la voix et du geste à regarder par-dessous le voile, que je me précipitai pour le lever ; mais l’eunuque prévint cette violation des lois du sérail, et, me lançant un coup d’œil foudroyant, il écarta la gaze du front de la femme. C’était Vasiliky ; je le savais d’avance, quoique je ne pusse comprendre comment elle se trouvait en ce lieu, vêtue avec tant de splendeur, chargée de diamans et de colliers. Le commandant me demanda si cette belle fille était ma porteuse de miel de Naxos. Je répondis que c’était elle-même, et qu’il suffisait de l’envisager une fois pour ne plus l’oublier. Aussitôt il réclama officiellement la remise de la prisonnière ; le pacha, qui riait dans sa barbe, acquiesça d’un signe de tête, et le trucheman dit : « Sa hautesse ne s’oppose pas à la délivrance de Vasiliky ; interrogez-la donc et faites-lui connaître vos désirs. »

Le commandant expliqua alors à la jeune fille la mission de la Fleur de Lis expédiée à sa recherche, ses courses inutiles parmi les Cyclades et le hasard providentiel qui avait amené la veille sur son passage un officier du bâtiment, celui dont elle-même, à Naxos, était venue implorer l’appui. Vasiliky, les bras en croix, les yeux baissés, écouta la traduction que l’interprète, phrase par phrase, lui fit de ce discours. Dès le commencement, elle pâlit, et les palpitations de son sein, le tremblement de ses lèvres, dénotèrent une violente agitation ; mais elle ne répondit pas et s’inclina en signe de remerciement. Le commandant reprit la parole et annonça à Vasiliky que ses chagrins étaient terminés ; le pacha lui rendait la liberté, et les Francs allaient la ramener dans les bras de son père. Il y eut un moment de silence durant lequel nos regards inquiets, les regards avides du pacha, l’œil louche de l’eunuque, sollicitèrent une réponse de la femme. Son hésitation commençait à nous embarrasser, et le commandant contenait mal son impatience.

— Venez, mon enfant, ajouta-t-il, qui vous retient ? Toutes les portes sont ouvertes. Une bonne brise, et avant trois jours vous cueillerez les roses du jardin de Chio. — Vasiliky continua de se taire en s’abandonnant à cette pose souffrante, à cet affaissement du corps que j’avais déjà remarqué deux fois. — Le temps se passe, dit l’officier en se levant, remerciez sa hautesse de sa générosité, et partons. — Il lui prit le bras. Elle se redressa vivement comme sous un ressort, redevint calme, et articula d’un ton bref et sec une phrase qui fit éclater la joie de la victoire sur le visage d’Ibrahim : — Allah a décidé de mon destin ; il n’a pas permis que mes projets d’évasion réussissent, je resterai ici. – Le