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et celles qu’il a pris soin d’allumer dans les ames innocentes. Puis voici les sept chasseurs sauvages ; ils sont là, pâles, sombres, terribles, avec leurs chevaux haletans, avec leur meute féroce, et ils s’apprêtent à le percer de leurs flèches. Le docteur frissonne, mais aucun remords ne le tourmente ; il a peur, vulgairement peur de la mort, peur de ce néant qu’il a si souvent prêché à ses disciples, pour les délivrer de la crainte salutaire d’une vie à venir. Étrange incident ! sa femme et ses enfans sont tout à coup à ses côtés. Dès qu’un des chasseurs veut le frapper, il prend un de ses enfans comme un bouclier, et l’enfant tombe mort ; lui-même enfin il est atteint d’une flèche vengeresse, et il sent les dents aiguës des chiens qui mettent son corps en morceaux. Pendant cette vision épouvantable, le docteur s’est évanoui au bord de la route. Trouvé là le lendemain par deux charretiers qui passent, il a bien vite oublié ces affreuses scènes ce n’est pas lui que les angoisses de la conscience peuvent agiter long-temps ; si les chasseurs sauvages lui ont fait passer une mauvaise nuit de Noël, en 1847, dans la forêt de Bürglen, quelle revanche il prendra deux mois plus tard ! « Frères, dit l’auteur en terminant, les sauvages chasseurs de Bürglen seront difficilement relevés de la malédiction qui pèse sur eux, s’ils prétendent convertir un démagogue lettré. Souhaitons-leur pourtant le repos auquel ils aspirent ; souhaitons aussi le repos de la conscience à ces esprits inquiets qui semblent appartenir aux puissances désordonnées du mal. Ayez pitié, ô Dieu de paix, de ces malheureux insensés que leur ame en proie aux passions mauvaises pousse de ville en ville et de village en village, jetant partout des semences empoisonnées ; ayez pitié d’eux, avant que la mort les saisisse, avant que le tombeau les dévore ! » Ainsi finit dans l’exaltation du poète et l’onction du chrétien cette énergique satire de la démagogie allemande de la. Suisse.

Si j’ai fidèlement reproduit la physionomie du romancier rustique, on doit comprendre quelle place vraiment originale lui est réservée dans l’histoire de l’imagination au XIXe siècle. Le tendre et puissant écrivain qui se cache sous le nom de Jérémie Gotthelf appartient à l’école de Hebel par la sincérité, par la candeur de son dévouement aux classes populaires ; comme romancier, il n’a pas de modèle et ne relève d’aucune école : on ne saurait même comparer ses peintures à celles de M. Auerbach et de Mme Sand, parce que, se sentant protégé par la piété de son inspiration, il a pu s’abandonner sans scrupules à toutes les hardiesses de sa fantaisie. Il n’a pas la netteté artificielle de M. Auerbach ; il n’a pas besoin d’efforts, comme Mme Sand, pour parler un langage d’emprunt, et, quoiqu’il poursuive un but, il n’a jamais dans ses tableaux agrestes la moindre préoccupation de système. Il est encore plus loin, la remarque est peut-être superflue, des langoureuses pastorales de M. de Lamartine ; peintre admirable de la nature, il n’éprouve