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donnent à la composition tout l’attrait d’un spectacle inattendu. Depuis la forme du casque jusqu’à la forme des étriers, M. Barye n’a voulu rien omettre, et je trouve qu’ira bien fait. Il s’est attaché à reproduire fidèlement le type de la race tartare, et ses cavaliers en effet rappellent d’une manière évidente les types que nous connaissons par le témoignage des voyageurs. Quant à l’élan déjà terrassé qui succombe sous leurs coups, il est modelé avec une précision que les naturalistes ne contesteront pas. Dans la représentation de ce type, aussi agile et plus fort que le cerf, rien n’est livré à la fantaisie. Il est facile de voir que l’auteur a vécu plus d’un jour avec son modèle, qu’il l’a regardé plus d’une fois avant de se mettre à l’œuvre. La souplesse et la force sont écrites dans le corps tout entier, et l’exactitude littérale de l’imitation n’ôte rien à la liberté des mouvemens.

Ce que je veux signaler dans les cinq groupes que je viens d’analyser, c’est l’étonnante variété que l’auteur a su jeter dans toutes ces compositions. Le travail, je veux dire l’effort, ne se révèle nulle part, L’auteur semble heureux de produire, tant il assemble facilement tous les personnages qui doivent concourir à l’expression de sa pensée. Ses modèles, dont il connaît la physionomie, les mœurs, le caractère, obéissent à sa volonté, et s’ordonnent de façon à concilier la beauté des lignes et l’énergie des mouvemens. La variété que je signale ne tient pas seulement à la richesse de l’imagination ; elle dépend surtout de l’intelligence, de la notion complète des sujets. Le statuaire le plus heureusement doué n’arriverait jamais à cette variété, s’il n’avait pas à sa disposition le souvenir toujours présent des figures qu’il veut mettre en œuvre. Avec une science acquise à la hâte et mal digérée, il ne pourrait jamais donner aux personnages le caractère individuel qui leur appartient. Pour M. Barye, la variété n’était pas un vœu, mais une nécessité. Familiarisé comme il l’était avec ses modèles, il ne pouvait manquer de leur assigner la physionomie, les attitudes qui leur appartiennent. Il trouvait sans effort dans la glaise obéissante tous les mouvemens qu’il avait épiés, dont il se souvenait ; aussi les chasses composées pour le duc d’Orléans nous offrent-elles une suite de scène s vivantes. L’art et la science s’y trouvent réunis et combinés dans une si juste mesure, que nous sommes forcés d’admirer.

Ces groupes si variés et si vrais avaient marqué la place de M. Barye parmi les artistes les plus ingénieux ; mais les esprits habitués à se repaître de lieux communs s’obstinaient à ne voir dans ces œuvres si puissantes que des œuvres de genre. À leurs yeux, en effet, les sujets héroïques sont les seuls qui permettent de grandes œuvres. Un cavalier du XVe ou du XVIe siècle, si habilement traité qu’il puisse être, ne mérite pas une sérieuse attention ; c’est un passe-temps, un délassement, et rien de plus. C’est peut-être pour répondre à ce reproche banal