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l’estrade qui doit servir de scène, ainsi qu’une chaire du haut de laquelle, avant chaque représentation, un mollah prêche pour préparer les assistans au drame sanglant qui va être joué. On y retrace, aux yeux des nombreux spectateurs que la dévotion attire, les combats soutenus par les deux petits-fils de Mahomet, leur mort et la captivité de leur famille. On y fait paraître un envoyé franc qui intercède en faveur de la femme et des enfans de Husseïn auprès du kalife, et qui est mis a mort pour prix de sa généreuse intervention. Dans le costume des personnages se révèle un scrupule de vérité historique qu’on ne s’attendrait guère à rencontrer chez les ordonnateurs de ces grossières tragédies. Le Frengui, qui s’y trouve avoir un si beau rôle, porte un costume moderne dont on se procure les diverses parties chez les Européens qui habitent le pays. Ceux-ci se prêtent d’autant plus volontiers à cet acte de complaisance que les Persans paraissent très touchés de la mort de l’envoyé européen qui paya de sa tête les réclamations qu’il éleva en faveur de la famille infortunée de Husseïn. Les acteurs de l’un de ces théâtres profitèrent de notre présence à Téhéran pour emprunter des chapeaux à trois cornes et d’autres détails de costumes dont ils affublèrent les Frenguis supposés ; leur chef était lui-même coiffé d’un casque anglais. Cette mascarade produisit beaucoup d’effet, et tous les Persans s’accordèrent à trouver très brillante la suite de l’ambassadeur improvisé.

Quelques jours plus tard, nous assistâmes à une seconde représentation de cet épisode ; mais cette fois on avait resserré dans un même cadre la récapitulation de tous les faits qui s’y rattachent. Ces espèces de tragédies religieuses sont trop développées pour qu’on puisse les représenter dans une seule séance : il faut ordinairement trois représentations pour mener la pièce à bout. Ensuite on termine par un résumé qui annonce la clôture de cette série de solennités funèbres et précède le Baïram, époque de réjouissances qui succède aux jours de deuil. C’était un de ces résumés que nous fûmes conviés à entendre. La représentation se donnait en plein air, sur une place autour de laquelle les spectateurs étaient distribués aux fenêtres et sur les terrasses des maisons environnantes. Une scène me frappa surtout, celle du combat entre les partisans d’Ali et la troupe de Yezid. Le simulacre de cette lutte offrait un tel caractère de vérité, qu’il y eut un moment où l’on put croire que des coups sérieux allaient être portés. Les combattans s’animaient de plus en plus et s’exaltaient au point qu’il fallut employer la force pour suspendre un conflit qui allait devenir meurtrier. Un événement qui aurait pu avoir des suites graves, mais qui ne prêta qu’à rire, vint clore brusquement ces représentations dramatiques. Une des maisons sur lesquelles étaient groupés des spectateurs s’affaissa sous leurs pieds au moment où l’émotion était la plus vive. Cela