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respectables. Ces tendances des esprits éclairés du midi forment dans un grand nombre de localités un contraste remarquable avec les opinions de la masse : ceux qui savent sont aussi calmes, aussi impartiaux que ceux qui ne savent pas sont absolus et exagérés, et c’est assurément une preuve nouvelle de l’influence salutaire que l’étude de l’histoire exerce sur les esprits.

L’Armagnac, le comté de Foix, le Bigorre et le Béarn, qui correspondent dans les circonscriptions actuelles aux départemens du Gers, de l’Ariège, des Hautes et Basses-Pyrénées, sont beaucoup moins riches en ouvrages modernes qu’en ouvrages anciens, et il semble que de ce côté la curiosité historique soit endormie ou épuisée, et que les travaux nombreux dont ces belles et intéressantes contrées ont été l’objet depuis deux siècles n’aient laissé que peu de chose à faire à l’érudition contemporaine. Les seuls livres qui nous soient connus depuis 1848 ont été publiés par MM. d’Asfeld, l’abbé Caneto, Lafforgue et Gustave-Bascle de Lagrèze. Dans ce pays où les mœurs sont accidentées comme le sol, où chaque race est marquée d’une forte empreinte, où se parle une langue, la langue escuara, qui vit depuis trois mille ans sans faire d’emprunts aux idiomes modernes, si ce n’est pour désigner des choses nouvelles ; — dans un tel pays, les livres ont d’autant plus d’intérêt, qu’ils pénètrent davantage dans les questions particulières. C’est ce que M. Gustave de Lagrèze a très bien compris en écrivant la monographie de Saint-Savin de Lavedan, aux environs de Bagnères-de-Bigorre. Ce petit pays formait, par l’association de plusieurs communes, une véritable république théocratico-démocratique, où le pouvoir était partagé entre les habitans et l’abbé de Saint-Savin, république exceptionnelle, où les femmes volaient avec les hommes, et dans laquelle se trouvait de la sorte complètement réalisée cette émancipation politique que tant de femmes libres ont de nos jours impérieusement réclamée, en protestant contre la brutale aristocratie du sexe. La monographie de M. de Lagrèze est fort intéressante, mais il a eu le tort d’abuser de la phrase, et en cherchant l’effet il a souvent manqué son but. Son érudition est étendue et positive, et elle ne peut que gagner à un style plus simple et plus précis.

L’Histoire de la ville d’Auch de M. Lafforgue est exécutée dans un procédé tout-à-fait durèrent. En prenant pour devise cette pensée de Lucien : « L’histoire n’a qu’une seule perfection qui lui soit particulière, c’est d’être l’expression de la vérité, » M. Lafforgue s’est uniquement attaché à être vrai, et son livre n’est qu’un résumé chronologique de tous les faits dont la ville d’Auch a été le témoin.

En Provence, comme dans une grande partie du midi, les goûts littéraires dominent la curiosité historique, et c’est surtout vers l’antiquité gallo-romaine que se tourne l’érudition. La multiplicité, la grandeur des ruines, l’extrême richesse des musées, expliquent cette différence, et, comme on réussit d’ordinaire aux choses qui plaisent et qui attirent, les archéologues provençaux se placent naturellement au premier rang parmi ceux de la province. M. Requien, conservateur du musée d’Avignon, s’était fait entre autres, non-seulement dans le midi, mais dans la France entière, une légitime réputation ; et quand la mort est venue l’enlever à ses travaux, les honneurs inusités qui ont été rendus dans le Comtat à sa dépouille mortelle montrent l’importance de jour en jour plus grande que nos départemens attachent aux études sérieuses, et la