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Marck sur ce point ; il pense après la mort de Mirabeau ce qu’il pensait auparavant. Je lis dans une note ou plutôt dans un projet de note en date du 24 avril 1791 : « Il doit être incontestablement prouvé au bon esprit de la reine que le parti de la contre-révolution est entièrement vermoulu ; et que dans ce parti un très grand nombre de gens qui voudraient qu’on rétrogradât vers l’ancien ordre de choses y consentiraient au prix de la vie du roi… Il faut commencer par prouver au public que la reine est persuadée de l’irrévocabilité de la révolution et qu’elle y maintient le roi[1]. » Et non-seulement le roi et la reine, selon M. de La Marck, doivent se persuader, que la révolution est irrévocable et que la vieille royauté n’est plus possible, ils doivent aussi conformer à cette idée leur conduite et l’allure même de leur cour. M. de Falloux, dans son excellente Vie de Louis XVI, remarque avec raison que la vie des rois de France était devenue trop orientale ; c’est-à-dire trop renfermée, trop cachée au public ; le roi, vivait dans un petit cercle de courtisans et dans l’enceinte de quelques palais. C’était un grand mal.. Voici ce que je lis dans une publication récente et remarquable : « J’ai vu le mois dernier le roi à la chasse les bois de Verrières. La pluie le fit descendre de cheval avec son monde ; il se rangea sous les arbres où j’étais avec quelques amis. Il n’ouvrit la bouche à qui que ce soit pendant une demi-heure qu’il fut là[2]. » La royauté nouvelle, telle que la conçoit M. de La Marck, comporte et exige un autre genre de vie et d’autres habitudes. « Il faut, di-il dans cette note de 1791, que le roi et la reine se montrent en public de temps à autre, aux spectacles. Pendant un certain nombre de mois de l’année, une fois la semaine, la cour, composée du roi, de la reine, de sa famille, et entourée des chargés de la cour, tiendrait cour publique sous le titre de cercle ; cela durerait une demi-heure dans la plus grande pièce du palais : tout le monde décemment vêtu, en habit de garde nationale ou d’officier de l’armée, y serait admis. Une fois la semaine ; le roi seul donnerait audience, ayant à côté de lui deux ministres pour recevoir les placets. Je sais que, dans les premiers temps, le roi et la reine s’apercevront que moins de personnes de l’ancienne cour se présenteront devant eux ; mais il faut sur cela savoir se faire un calus. Ce parti est vaincu sans retour ; il est vaincu par la supériorité de force qu’ont quatre-vingt-dix neuf personnes sur une, à plus forte raison quand elles ont pris le dessus, qu’elles connaissent leur force et qu’elles sont très disposées à en faire usage. Il faut régner de la manière que je viens d’indiquer ou se résoudre à périr…

  1. Tome III, p. 155.
  2. Mémoires et correspondance de Mallet du Pan recueillis et mis en ordre M. Sayous, 2 vol.