poignarde. Notons en passant que les cent hommes d’armes qui accompagnaient le prélat ne songèrent ni à le défendre, ni à le venger : spectateurs impassibles de cette scène, ils laissèrent faire le duc en toute liberté et continuèrent leur chemin sans s’être assurés de sa personne; mais le pape n’était pas d’humeur à partager leur indifférence. Le moment d’ailleurs semblait mal choisi pour se permettre un acte de cette espèce. La perte de Bologne, la guerre à soutenir contre la France, le concile schismatique de Pise. créaient à Jules II de terribles embarras : on conçoit que la nouvelle du meurtre de son favori, lui arrivant par surcroît, n’ait pas dû le trouver en veine d’indulgence. De retour à Rome, il somma le duc d’y venir rendre compte de sa conduite. Celui-ci obéit; mais, comme le cas était délicat, il emmena avec lui Castiglione, l’homme le plus propre à l’en tirer sans grand dommage. Grâce à cette précaution, François-Marie n’eut à subir qu’une courte détention préventive. Les six cardinaux chargés d’instruire le procès, et qui, au fond, ne savaient pas mauvais gré au jeune prince de les avoir délivrés d’un collègue qu’ils détestaient, se laissèrent aisément convaincre par Castiglione. L’effervescence de l’âge servit d’excuse au crime, et, une habile plaidoirie de Philippe Beroaldo aidant, le tribunal signa une déclaration d’acquittement. Cela n’eût pas suffi peut-être pour absoudre le coupable aux yeux du souverain pontife: mais, au commencement de l’année suivante, François-Marie reprenait Bologne et trouvait ainsi un moyen beaucoup plus sûr d’obtenir son pardon. De nouvelles conquêtes achevèrent de le remettre en crédit, et il recevait l’investiture de la seigneurie de Pesaro en récompense de ses services, lorsque la mort de Jules Il et l’avènement de Léon X vinrent le priver d’un puissant protecteur et lui susciter un ennemi.
Rien ne pouvait lui faire présumer qu’à l’affection que lui témoignait depuis long-temps le cardinal Jean de Médicis succéderait bientôt l’inimitié de Léon X. François-Marie s’y attendait au contraire si peu, qu’il avait contribué de tout son pouvoir au succès de l’élection. Le nouveau pape et son frère Julien, celui-là même que nous avons vu au nombre des interlocuteurs dans le Courtisan de Castiglione, Laurent, leur neveu, et leur cousin Jules de Médicis avaient été, pendant leur exil, les hôtes de Guidobaldo. L’héritier de celui-ci croyait donc assurer sa propre indépendance en travaillant à l’élévation d’une famille que la sienne avait si noblement secourue. Ici encore on saisit les traits distinctifs des deux races : la générosité des ducs d’Urbin ne sert qu’à éveiller l’ambition des Médicis, et la perfidie de Léon X met en relief la crédule loyauté de sa victime. L’un cherche dans l’ingratitude et les intrigues un moyen d’accroître sa puissance et l’autorité de sa maison; l’autre fonde toute sa politique sur la reconnaissance du pontife et sur la bonne foi qu’il lui suppose. Leur situation respective ne tarda pas à se dessiner nettement, A peine sur le trône, Léon X retira des mains