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l’infortunée Marie, avant de pouvoir regarder sans trouble ces lieux si connus; j’oublierais les jours que j’ai passés ici comme la fiancée de celui qui n’est plus..., de l’assassiné....

« Puis, après quelques mots de l’abbé : « Allons là-bas, dit-elle, montrant un chêne qui couronnait une petite colline tout près du château; je le connais bien; de là, la vue s’étend aussi loin que des pics du Schekallion. »

« Et se débarrassant de sa suite, elle marcha d’un pas ferme, quoiqu’un peu égaré, jusqu’au pied du noble arbre, et, le regardant d’un œil fixe :

« — Oui, noble et majestueux arbre, dit-elle, tu es là debout, heureux et joyeux comme toujours, quoique tu entendes les bruits de la guerre au lieu des vœux des amans. Tout a été fini pour moi depuis la dernière fois que je t’ai salué, tout, l’amour et celui qui m’aimait, les vœux et celui qui les faisait pour moi, le roi et le royaume. Où en est la bataille, seigneur abbé? Elle se décide pour nous, je l’espère, et pourtant quelle autre chose que du mal les yeux de Marie peuvent-ils voir d’un pareil lieu? »


Au théâtre, un seul poète nous la montre coupable : c’est Schiller. Dans une très belle scène de sa Marie Stuart, Marie, au moment suprême, fait l’aveu de son crime. A défaut d’un prêtre de sa religion, que la cruauté d’Elisabeth lui a refusé, le fidèle Melvil reçoit sa confession.


« MELVIL. — De quel autre crime votre conscience vous accuse-t-elle?

« MARIE. — Hélas! un péché mortel dès long-temps commis et confessé revient, avec de nouvelles terreurs, au moment où se rend le dernier compte, et roule ses funèbres ombres entre les portes du ciel et moi. Je laissai tuer le roi, mon mari, et je donnai mon cœur et ma main au séducteur. J’ai expié le crime par tous les châtimens de l’église ; mais le ver ne cesse pas de veiller au fond de mon cœur. »


Cela peut ne pas déplaire dans le livre, surtout à ceux qui aiment les images fortes; mais je doute qu’un tel aveu soit goûté sur la scène, même au-delà du Rhin, et je ne m’étonne pas que l’auteur de la libre et élégante imitation de Schiller, qui se joue sur notre théâtre, l’ait laissé au poète allemand, avec la responsabilité de l’assertion. C’est là une preuve de ce qu’on peut appeler le tact dramatique. M. Lebrun s’est conformé à la célèbre règle du théâtre sur l’unité des caractères.

... servetur ad imum
Qualis ab incepto processerit, et sibi constet.


Est-ce une invention arbitraire des faiseurs de poétiques? Nullement. C’est l’étude du cœur humain qui en a révélé le principe aux poètes de génie, et ce sont leurs exemples qui en ont fait une règle.

Voilà la raison la plus forte de notre répugnance à condamner Marie Stuart. Nous ne voulons pas trouver dans la même vie l’assassinat le plus exécrable et l’héroïsme le plus touchant, un des plus grands crimes et une des plus belles morts dont l’histoire fasse mention.