Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/511

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’évertuer : tandis qu’ils nous étonnent, qu’ils nous charment, ils trouvent au fond de leur pensée un type supérieur à l’œuvre qu’ils nous montrent; à l’heure même où ils recueillent nos applaudissemens, ils blâment comme incomplet ce que nous admirons. Toutefois, quelle que soit l’opinion de M. Gleyre sur ses Bacchantes, je n’hésite pas à les recommander comme une œuvre de premier ordre, et je regrette sincèrement que ce tableau soit parti pour Madrid; sa place était marquée dans la galerie du Luxembourg. Il y a dans cette composition un savoir, une élévation de style qui désignent évidemment M. Gleyre pour les travaux de peinture monumentale. Quel que soit le sujet confié à ce talent sérieux, païen ou chrétien, nous sommes sûrs d’avance qu’il sera traité sous une forme sévère.

Il me reste à mentionner trois portraits gravés pour le Plutarque français : Hoche, Voltaire et Rousseau. Ces trois portraits reproduisent avec une admirable fidélité le type individuel des trois personnages. Il y a dans le visage, dans l’attitude du général Hoche un mélange de fierté virile et d’austérité antique, dans le visage de Voltaire une malice railleuse, dans le visage de Jean-Jacques Rousseau une mélancolie pénétrante. Jamais, je crois, ces trois modèles n’ont été rendus plus finement.

Je peux donc affirmer sans crainte que M. Gleyre occupera un rang élevé dans l’histoire de l’école française. Ses œuvres, bien que peu nombreuses, suffisent à marquer sa place. Combien de peintres vantés pendant quelques années pour leur fécondité sont aujourd’hui enveloppés dans un légitime oubli ! La lenteur du travail est pour les œuvres de M. Gleyre une garantie de durée. Pour que le nom d’un artiste demeure, il ne s’agit pas de prodiguer des simulacres de pensées, il faut produire des pensées complètes et vivantes, des pensées armées de toutes pièces. C’est la conduite que M. Gleyre a suivie. Chacune de ses pensées est éclose à son heure, et soutient victorieusement l’analyse et la discussion. Toute argumentation serait ici superflue : ou ce que j’ai dit ne présente aucun sens, ou il demeure démontré que les œuvres de M. Gleyre ont une réelle importance, aussi bien par le choix des sujets que par la sévérité de la forme; c’est pourquoi j’abandonne aux hommes compétens le soin de soutenir mes conclusions.


GUSTAVE PLANCHE.