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libertés de la nation, imputant aux ministres de l’avoir choisi pour victime, parce qu’ils n’avaient pu l’acheter ni le corrompre. Ses moyens de droit furent examinés, et le chef de la cour, Charles Pratt, magistrat habile et indépendant, ami constant de Pitt et de sa politique, déclara, au nom du tribunal entier, que si les précédens ne permettaient pas de taxer d’illégalité flagrante l’arrestation et le mandat, M. Wilkes cependant devait être élargi, en vertu de son privilège de membre du parlement, car il ne pouvait être poursuivi que pour libelle, et l’immunité parlementaire ne devait souffrir d’exception que lorsqu’il s’agissait de plus graves délits. Cette décision est célèbre dans les fastes de la jurisprudence anglaise, et Pratt, promu plus tard à la pairie avec le titre de lord Camden, est du petit nombre des juges d’Angleterre dont le nom est demeuré cher aux amis de la liberté.

Alors la poursuite pour libelle commença. Une décision royale retira à Wilkes sa commission de colonel de la milice du Buckinghamshire, et celle de lord-lieutenant du même comté à lord Temple, qui l’avait visité dans sa prison, soutenu dans sa captivité, et dont le nom fut rayé de la liste des membres du conseil privé. À peine rentré chez lui, Wilkes écrivit insolemment aux secrétaires d’état la lettre que voici : « Mylords, à mon retour de Westminster-Hall, où j’ai été relaxé de mon emprisonnement à la Tour en vertu d’un mandat de vos seigneuries, je trouve que ma maison a été pillée, et suis informé que les objets volés sont en la possession d’une ou deux de vos seigneuries. J’insisté en conséquence pour que vous les fassiez rendre sur-le-champ à votre humble serviteur. » La lettre fut aussitôt imprimée, et les ministres, lord Halifax et lord Egremont, eurent la gaucherie de lui répondre que ses expressions étaient inconvenantes et grossières, et que ses papiers avaient été saisis parce qu’il était l’auteur d’un libelle infâme et séditieux.

Cette affaire commença une de ces longues guerres de chicane, où la justice et le parlement, la tribune et la presse, agitant successivement toutes les questions de droit et d’équité, ont, par des décisions incessamment débattues, éclairé, démenti, rétabli, propagé les principes de la liberté britannique. Le procès, ou plutôt la suite de procès de John Wilkes, est une cause célèbre dans l’histoire du droit constitutionnel. Quant à lui, tantôt se défendant avec la fermeté du bon citoyen, tantôt attaquant avec la violence du démagogue, tour à tour fier ou séditieux, invoquant tour à tour la loi et la force, la constitution et l’émeute, il parvint, en de certains momens, malgré les désordres de sa vie, malgré sa réputation contestée et sa probité mise en doute, à conquérir la noble attitude du patriote persécuté, et à lire dans les feuilles brûlantes de la presse contemporaine son nom décrié auprès des noms glorieux de Hampden et de Sidney.