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adieu, pour plusieurs, était le dernier ; peu d’heures après, ils tombaient sanglans sur le champ de bataille. Je me rappelle encore la naïve réponse que fit l’un de nous à la comtesse N… demandant des nouvelles du lieutenant Mayer des cuirassiers de Saxe, qui avait logé dans sa maison, et qu’elle voyait chaque jour. Mayer, lui dit-on, n’aurait plus l’honneur de venir chez elle, parce qu’il était tué ! Ce pauvre Mayer, frappé d’une balle dans la poitrine, se faisait soutenir par deux cuirassiers pour se retirer du combat, lorsqu’une autre balle l’atteignit dans les reins et le tua entre leurs bras.

Le 21, dans l’après-midi, Aulich vint encore nous attaquer. Le canon tonnait de tous les côtés à la fois ; mais, dès que les Hongrois virent notre corps se mettre en mouvement, ils se retirèrent précipitamment ; nous n’eûmes que quelques blessés. Un boulet de canon avait passé sous le bras d’un artilleur au moment où il chargeait sa pièce et ne lui avait fait qu’une légère contusion. Quelques jours auparavant, le capitaine Zastavnikovich, aide-de-camp du général Ottinger, avait eu de même un singulier bonheur : il s’était tourné sur sa selle pour parler au général, et regardait le combat en appuyant la main droite sur les crins de son cheval ; un boulet vint passer entre son bras et le cou du cheval, et ne lui arracha que les boutons de son uniforme sans le blesser : Le soir même, je le vis au spectacle.

Pendant la journée du 23, les troupes reçurent l’ordre de se tenir prêtes à quitter pendant la nuit les bivouacs qu’elles occupaient depuis le 7 avril. Vers le soir, j’ordonnai à mes gens de seller mes chevaux et de les conduire à l’entrée du pont, puis j’allai à l’opéra ; le général Schlick y vint avec quelques-uns de ses officiers ; lorsqu’il entra dans sa loge, tous les regards se tournèrent vers lui : notre retraite n’était plus un secret. Les uns cherchaient à lire dans ses traits la consternation, les autres l’espoir que notre cause n’était pas perdue. Schlick, le sourire sur les lèvres, semblait narguer ses ennemis et dire à nos amis que bientôt notre armée rentrerait triomphante dans Pesth.

À minuit, le général Ottinger déploya sa cavalerie devant le front de nos positions pour couvrir la retraite et repousser les Hongrois, s’ils venaient nous attaquer. L’infanterie se mit en marche pour traverser le Danube. Le ban, le général Schlick, les officiers d’état-major se tenaient près du pont, regardant défiler les troupes. L’obscurité de la nuit, le silence, donnaient à cette marche un lugubre aspect ; les chefs cherchaient à soutenir le moral des soldats en montrant une ardeur, une gaieté qu’ils ne sentaient point. Il y avait du découragement au fond des coeurs. Tout ce talent, tout cet héroïsme déployé par nos chefs, tout avait été inutile ; le destin fatal l’emportait ; il fallait abandonner la Hongrie. Soldats de l’empereur, nous étions forcés de reculer devant une armée de traîtres ou de paysans révoltés. Ces batailles