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friche, mais en plein rapport, à prendre sur les propriétés des mulâtres ; deuxièmement, des maisons en ville pour leurs officiers.

En apprenant que Soulouque laissait discuter ces demandes au lieu d’y répondre à coups de canon, les meneurs de Port-au-Prince, un moment tenus en respect par Bellegarde, avaient repris leur ultimatum du 9 avril, en y ajoutant de temps en temps quelques articles auprès desquels les exigences des piquets n’étaient que du modérantisme. Par leur nouveau programme, à l’acceptation duquel ils subordonnaient la rentrée de Soulouque dans sa capitale, les amis de Similien demandaient (outre la dictature, le drapeau d’une seule couleur et la destitution des derniers fonctionnaires mulâtres) : le pillage des magasins des mulâtres, — la confiscation de toute maison leur appartenant au-delà d’une seule, — trente de leurs têtes, — le bannissement du plus grand nombre, et, chose à noter, de quatre généraux noirs, parmi lesquels figurait le nom de leur ancien ami Bellegarde, décidément passé à l’état de réactionnaire. Les amis de Similien exigeaient encore que l’état, c’est-à-dire Soulouque, s’emparât du monopole des denrées d’exportation, et qu’il annulât la dette envers les indemnitaires français (c’est, comme on sait, l’équivalent de notre milliard des émigrés), « attendu, disaient-ils, que cette indemnité avait été consentie par des mulâtres bannis depuis ou déclarés traîtres à la patrie, et qui avaient traité avec les agens d’un roi qui ne l’était plus. » Si l’on veut bien se rappeler de nouveau que ceci se passait au printemps de 1848, et que les amis de Similien ne savaient pas lire, ce qui écarte doublement le soupçon de contrefaçon, il sera difficile de nier l’ubiquité du choléra démocratique et social.


VII. – LES SCRUPULES DE SOULOUQUE. – IMPROMPTU NEGRE.

Nous n’avons plus affaire à ce pauvre noir irrésolu qu’un fiévreux besoin des sympathies de la classe éclairée retenait à son insu sur la pente de la barbarie : le monceau de cadavres qui s’est interposé entre cette classe et lui a rompu l’attraction. Des deux hommes que nous avons vus en Soulouque, il ne reste désormais que le sauvage, le sauvage qui vient d’acquérir la subite révélation de sa force, et qui, fier d’imposer la terreur, lui qui ne visait humblement qu’à l’estime, ivre de joie à se sentir dégagé des invisibles liens où l’étreignaient les intrigues des hommes et des fétiches, convaincu de la légitimité de ses griefs et de la prédestination de sa vengeance, se rue, par la première issue qui s’offre, à la satisfaction de ses appétits de haine et de tyrannie. Cependant il y a comme une grace d’état attachée au rôle de pouvoir, et, si on a vu souvent les préjugés d’opposition les plus systématiques et les plus invétérés ne pas résister à l’épreuve de la responsabilité