M. Thiers ni aucun de ses collègues de l’ancienne chambre des députés y aient paru avant le 23 juin.
Si donc des représentans jeunes d’antécédens ou d’âge vinrent tout d’un coup se ranger sous le drapeau des vieux parlementaires, et si ce rapprochement fut un malheur pour les destinées régénératrices du 24 février, la république est encore redevable de ce fait à ses prétendus amis. Il est avéré qu’avant l’agression barbare du 23 juin, les nouveaux constituans avaient la plus grande répugnance à se confondre avec les anciens députés ; que les anciens députés, de leur côté, mettaient une sorte de fierté à ne se point montrer blessés de cette exclusion, et que de cette séparation prolongée pouvaient naître des élémens imprévus, inessayés, de majorité et de gouvernement. Le 23 juin acheva la réaction que le 15 mai avait commencée. Tous les rangs, tous les âges, toutes les nuances se confondirent dans l’unique sentiment de la civilisation à défendre. Voilà l’intrigue qui plaça la rue de Poitiers sous le charme de M. Thiers, de M. Molé, de M. Berryer, de M. de Montalembert ; voilà le nœud de cette monstrueuse coalition.
Les rapports qui s’établirent immédiatement entre la rue de Poitiers et le général Cavaignac furent tout aussi exempts d’embûches. L’idée première de la constituante avait été de gouverner elle-même, en se réservant le choix des ministres jusqu’à la fondation d’un gouvernement définitif. C’est cette combinaison que fit échouer M. de Lamartine en imaginant une commission exécutive composée de cinq membres, afin que M. Ledru-Rollin pût y trouver une place. Cette combinaison obtenue par beaucoup d’efforts, votée à grand’peine, pesait comme une sorte de remords au fond de la conscience de la majorité. La commission exécutive le sentait si bien, M. de Lamartine personnellement en était si affecté, que bien qu’il eût obtenu un vote de confiance le 21 ou le 22 juin sur une question de traitement, il donnait, et ses quatre collègues donnaient avec lui, dès le 23 juin, une démission pleine d’amertume. Il était donc naturel que l’assemblée revînt à sa première pensée, la nomination directe des ministres, et qu’elle ne recommençât pas, après les malheurs de juin, la faute qui les avait causés. En même temps donc que le suffrage unanime de la rue de Poitiers portait le général Cavaignac à la tête du nouveau gouvernement, il était fortement question de retenir la nomination du ministère. Plusieurs listes étaient déjà dressées. Ce furent alors les chefs de la majorité qui, loin d’étendre la main pour saisir une tutelle, combattirent cette tendance, et s’efforcèrent de dissiper les ombrages.
Lorsque j’entrai pour la première fois dans la salle de la rue de Poitiers, le 27 juin au soir, M. Thiers occupait le petit bureau servant de tribune. On était venu, quelques instans auparavant, raconter assez