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nous fait voir, sous les traits du Faucheur d’hommes, la démagogie accomplissant son œuvre, se distingue par une fermeté d’exécution égale à la force de la pensée. L’artiste (il nous le dit lui-même en quelques mots placés en tête de la publication) a voulu tracer « une sérieuse image d’une époque sérieuse, » et, dans ce but, il n’a rien négligé de ce qui pouvait donner aux formes plus de vraisemblance, au style plus de netteté. À ne parler que de l’aspect même des compositions, il est impossible de ne pas être frappé de ce qu’il offre de clair et de significatif. L’estampe qui représente le Faucheur recevant des mains de la Ruse et du Mensonge le glaive et la balance volés à la Justice, a je ne sais quelle majesté sinistre parfaitement conforme à l’esprit du sujet. Les scènes qui suivent, où l’on voit successivement le même héros déguisé en professeur de théories et en professeur de barricades entraîner ses dupes à la misère et à la mort, sont rendues avec une rare justesse de geste et de mouvement ; mais c’est surtout dans l’estampe qui sert de conclusion au recueil que se montre le talent de M. Rethel. Sans masque maintenant et le front ceint de la couronne des triomphateurs, le Faucheur d’hommes savoure les fruits de sa victoire. Il promène ses regards sur les cadavres amoncelés autour de lui et que foulent les pieds de son cheval ; il parcourt une dernière fois la ville où il a semé la ruine, et jouit du néant qui l’environne, avant d’aller ailleurs chercher des victimes nouvelles. L’effet de cette composition est saisissant, quoique les moyens employés pour le produire soient d’une extrême simplicité ; ils consistent exclusivement dans la prédominance des lignes et dans l’exactitude du dessin. Comme la plupart des graveurs de son pays, M. Rethel s’interdit les ressources du ton et du clair-obscur ; quelques tailles lui suffisent pour indiquer les masses d’ombre ou l’éloignement des plans ; en se servant du burin, il ne fait qu’accuser des contours, et, fidèle au génie de l’école, il se propose beaucoup moins de plaire aux yeux que de satisfaire l’intelligence. — Tel est en effet le principe qui régit aujourd’hui l’école allemande de gravure. Peut-être le met-elle en pratique avec une soumission un peu trop absolue, peut-être accorde-t-elle au monde des idées une supériorité disproportionnée sur la réalité pittoresque ; mais ce qu’on pourrait regretter de ne pas trouver dans les estampes est aussi ce qui manque aux peintures d’après lesquelles elles ont été faites, et, le principe une fois admis, il faut reconnaître qu’on ne saurait en tirer les conséquences avec plus de logique et de précision. On ne compte pas en Allemagne des talens isolés et indépendans les uns des autres comme en Italie et en France. Le but y est le même pour tous les graveurs, et ils réussissent à l’atteindre par un effort collectif. C’est ce qui a lieu aussi en Angleterre. Prises en général, les œuvres de la gravure présentent dans ce pays une incontestable unité. Toutefois la différence est grande entre les deux