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leur propre voie, se trouvèrent subitement et violemment rapprochées ; il n’y eut plus de la mer Baltique à la Méditerranée et du Danube à l’Océan, qu’une seule affaire, qu’une seule passion, qu’un seul intérêt en jeu : il fallait servir la démagogie ou la combattre. Dès-lors aussi les différentes littératures qui reproduisaient l’esprit public en Europe eurent à traverser les mêmes phases et présentèrent les mêmes symptômes ; des variétés assez curieuses peuvent persister encore dans les détails, il n’en est pas moins vrai que ces littératures vivent sur un fonds commun et qu’une destinée semblable les unit. Est-ce un bien ? est-ce un mal ? On se plaint sans cesse de cet effacement des peuples : il serait plus sage, à mon avis, de l’accepter comme un résultat inévitable et de le tourner à notre avantage. Or le bien en pareille matière, c’est que l’indifférence n’est plus permise, c’est que les nations sont solidaires entre elles, et que, tenues en éveil par l’urgence du péril, elles doivent chercher sérieusement à se connaître. Que de fois nos erreurs n’ont-elles pas infecté l’Allemagne ! et comme l’Allemagne, aujourd’hui, nous le rend avec usure ! Nous lui avons donné je ne sais quelle frivolité voltairienne dont elle s’affublait grotesquement ; elle nous envoie, à l’heure qu’il est, le pédantisme hégélien, dont les formules tiennent si bien leur place dans nos mascarades socialistes. Tirons du moins de ces faits un enseignement durable ; remettons dans le droit chemin la critique déroutée ; surveillons d’un œil plus sûr, jugeons avec une autorité plus résolue les productions littéraires de l’Europe, et quand nous parlerons des erreurs ou des folies de nos voisins, n’oublions pas qu’il s’agit aussi des nôtres, n’oublions pas que l’esprit de la France est en péril.

En France, nous le savons trop, la perturbation de 1848 a été profonde. Les plus nobles travaux de l’intelligence, tout ce qui fait la dignité de l’esprit humain, tout ce qui est l’honneur des sociétés heureuses a été long-temps menacé de mort. On a vu, chose sans exemple, la plus stupide anarchie jointe aux prétentions les plus sottes, des hordes sauvages conduites par des rhéteurs, et la pire des barbaries, la barbarie à demi lettrée, procédant avec logique à la ruine du monde. Est-ce à dire pourtant que la violence des faits n’ait pas profité, sur certains points, à la situation littéraire ? L’orage n’a t-il pas purifié une atmosphère chargée de miasmes impurs ? Bien des écoles, bien des coteries condamnées, qui auraient pu tromper long-temps encore la faveur routinière du public, n’ont-elles pas été dispersées par le choc ? Ce besoin de fanfares, cette soif du lucre, cette infatuation inouie, tous ces vices d’une littérature sans principes qui devait fournir à la démagogie du lendemain ses nauséabondes déclamations, tout cela n’a-t-il pas été éclairé subitement d’une lumière impitoyable ? N’a-t-on pu juger enfin combien la probité du caractère était rare chez ces hommes qui prétendaient au gouvernement des intelligences ? Cette leçon, il faut l’espérer, ne sera pas perdue, et il y aura du mois un résultat utile dans les châtimens qui nous ont frappes. La banale indulgence qui a autorisé tant de désordres craindra désormais d’en être la complice ; les droits de la morale seront revendiqués avec force et moins attentive aux vanités de l’esprit, l’opinion se préoccupera plus sévèrement de la vraie dignité de l’écrivain.

En Allemagne aussi, l’interruption du mouvement littéraire produira nous l’espérons, deux résultats précieux : d’une part, la, secousse semble avoir fait pour ainsi dire, place nette ; les célébrités de mauvais aloi, les réputations et