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les autorités équivoques ont été brusquement éconduites ; de l’autre, la critique se mit en demeure de se réveiller et de remplir plus scrupuleusement sa tâche. Sur ce dernier point, on doit le déclarer, la réforme est urgente. Ce n’est pas l’opinion toute seule qui a favorisé, depuis dix années, les excès de l’esprit allemand ; la critique mérite sa part de reproches. Chez nous, et c’est ici surtout qu’on a quelque droit de le rappeler, au milieu des engouemens les plus passionnés, à y a toujours eu de fermes esprits qui résistaient à l’entraînement général ; il y a toujours eu des voix courageuses, qui dans le dévergondage des imaginations, dans les scandales de l’industrie et de l’orgueil littéraire, signalaient une profonde atteinte à la morale publique. Qui sait pourtant si ces cris d’alarme, sans la chute d’un trône et l’ébranlement de l’Europe, eussent été justifiés aux yeux de la foule ? Ces censeurs, considérés alors comme des esprits chagrins, et dont il faut bien aujourd’hui reconnaître la clairvoyance, l’Allemagne ne les a pas connus. Absorbée par ses luttes politiques, tout occupée à ses légitimes efforts pour conquérir et organiser le gouvernement parlementaire, elle acceptait de toutes mains, les secours qu’elle croyait profitables à cette grande cause. C’est ainsi que la patrie de Leibnitz et de Schiller est devenue le foyer d’un matérialisme hideux. Dans un pays où la démangeaison d’écrire est devenue un mal épidémique, où il y a des éditeurs pour les plus misérables rapsodies, où le dernier des écrivains croirait se manquer à lui-même s’il négligeait de livrer au public ses moindres articles de journaux et jusqu’à ses lettres familières, la critique n’ose malheureusement se soustraire à des complaisances dont elle a trop souvent besoin pour ses propres méfaits. Les plus austères se sont laissé peu à peu désarmer. Quel critique éminent pourrait-on citer en Allemagne depuis la mort de Louis Boerne ? Est-ce M. Gustave Iühne, si bien préparé pourtant à ce salutaire office par la finesse de sa pensée, par la sagacité de son intelligence ? est-ce M. Roetscher, dont les beaux travaux sur le théâtre nous faisaient espérer un maître ? est-ce M. Adolphe Stahr, qui, dans sa Dramaturgie d’Oldenbourg, a fait preuve de qualités précieuses ? M. Stahr semble avoir renoncé à la critique, ne trouvant pas sans doute dans la constitution littéraire de son pays, la liberté indispensable à ses fonctions et désespérant de la conquérir ; M. Roetscher se confine de plus en plus dans des études spéciales,’ et M. Gustave Kühne se résigne à être le débonnaire introducteur de tous ceux qui devraient trouver en lui un censeur et un juge. En dehors de ces noms, je ne vois guère que les faiseurs d’esthétique transcendantale ou ces milliers de literats qui, dans les innombrables journaux de la confédération, enregistrent les œuvres nouvelles avec une indifférence de greffier. Il y a donc une place, une belle et souveraine place à prendre à la tête des lettres allemandes. L’Allemagne, ce foyer des impiétés hégéliennes, est aussi le pays le mieux placé pour les combattre : si donc nous essayons de remplir ici une tâche trop négligée par nos voisins, c’est avec la certitude que tôt ou tard les folles songeries, les systèmes coupables rencontreront parmi eux un adversaire, un surveillant mieux autorisé.

C’est par les romanciers qu’avait commencé, au-delà du Rhin, l’agitation littéraire, prélude assez habituel des commotions sociales. Ici, nos fournisseurs de contes n’avaient fait que mettre en lumière les mauvais symptômes de la conscience publique Innocens de toute combinaison hardie, incapables de