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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/831

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n’ont abouti qu’à l’étalage de quelques couleurs fausses et criardes. Ils contredisent les opinions les mieux fondées, les mieux établies sur les faits, uniquement pour y opposer de vieilles erreurs méprisées depuis long-temps et déjà réfutées cent fois. Ces enlumineurs de l’histoire prennent sans cesse des images pour des idées ; ils ne nous parlent que beffrois, gonfanons, robes mi-parties, et nous promènent à travers bute la ligue de procession en procession, de mascarade en mascarade, prétendant, d’un ton doctoral et sentencieux, qu’au XVIe siècle le sentiment religieux s’était emparé exclusivement des esprits, au point d’avoir aboli le sentiment national. « Le territoire, disent-ils, n’était rien, il n’y avait plus ni Anglais, ni Français, ni Espagnols, mais seulement des protestans et des catholiques… » Selon eux, « c’était la chose du monde la plus simple d’appeler les étrangers en France ; personne ne le trouvait singulier ni mauvais ; c’est montrer la plus profonde ignorance de l’époque que d’en douter. » Et quelle est la théorie sur laquelle on appuie ce beau système ? Les prémisses sont encore plus bizarres que les conséquences. À en croire ces écrivains, et pour parler leur incorrect langage, « le patriotisme de la terre n’est que le vieux droit féodal, la patrie a disparu avec la féodalité. »

Cependant personne n’ignore, les petits enfans savent eux-mêmes que la patrie française, c’est-à-dire la réunion des divers fragmens qui la composent, que l’unité de la France enfin est précisément l’œuvre de la royauté, le fruit de sa victoire sur les institutions féodales. La féodalité pouvait peut-être invoquer les étrangers sans crime, parce que la patrie n’était pas encore constituée, il en fut tout autrement dès que la France eut pris seule la place occupée jusqu’alors par des dynasties et des races diverses, par des princes angevins ou poitevins, angoumois ou bretons. C’est, au contraire, de la constitution définitive de la monarchie que date la création de la patrie française. Le sang versé sur les champs de bataille a été l’eau de son baptême ; elle n’a reçu son nom, ce beau nom de France, que lorsque Jeanne d’Arc et Duguesclin eurent enfin chassé les Anglais. C’est seulement quand la monarchie fut constituée, qu’il devint criminel d’appeler les étrangers. Le connétable de Bourbon l’avait appris à ses dépens ; son aventure marque le moment précis de cette révolution. Il se croyait toujours en pleine féodalité ; il ne s’était pas aperçu que, dans l’intervalle, le pouvoir royal avait marché sourdement. Aussi qu’arriva-t-il ? Le connétable se trouva en face d’un souverain, lorsqu’il croyait encore n’avoir affaire qu’à un suzerain. Il s’était endormi vassal mécontent, il se réveilla sujet rebelle.

François Ier était un roi vraiment national. C’est sous son règne, c’est au XVIe siècle que le mot patrie fut transporté de la langue latine dans la nôtre ; mais la patrie, quoique anonyme encore, vivait déjà dans tous les cœurs. Même après François Ier, sous les règnes suivans,