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de larges fenêtres, comme à Séville et à Cadix, d’avancer sur les rues de larges balcons en pierre, et d’élever un deuxième étage sur les solides rez-de-chaussée des maisons indiennes, qui n’en avaient pas. Les bons ouvriers étaient communs : dès que les Espagnols leur eurent enseigné le grand art de la voûte, ils purent élever à leur fantaisie des palais semblables aux palais des seigneurs en Espagne. Le marquis del Charcas dédaigna d’habiter le palais des Incas ; il se fit construire une vaste maison à l’espagnole, avec sa cour entourée d’une rotonde moresque, soutenant une large verandah, et sa fontaine d’eau jaillissante. Les plus riches de ses compagnons l’imitèrent bientôt, et Cusco eut en peu d’années une physionomie plus espagnole qu’indienne. Maintenant que la maçonnerie à l’européenne a disparu sous l’effort des années, maintenant que la chaux qui salissait les pierres a été lavée par le temps et l’eau des pluies, l’ancien Cusco reparaît de toutes parts avec ses constructions en marqueterie de pierre et son architecture, lourde et solide.

La première église consacrée du Cusco fut celle de Santo-Domingo ; il était naturel que le patron de ces hommes de fer fût saint Dominique, le fondateur de l’inquisition, et il fallait aussi que la parole de l’Évangile fût accomplie « La croix s’élèvera sur l’autel des faux dieux. » Les murailles du temple du Soleil servirent de fondemens à la nouvelle église, et l’autel du Christ fut placé sur l’autel de l’idole. C’est à cette pensée d’orgueil religieux que l’on doit la conservation d’une avance semi-circulaire en pierre un travail parfait. Au-dessous s’étend un jardin en terrasse, aujourd’hui le jardin du couvent de Santo-Domingo. Au temps des Incas, les fruits et les fleurs en étaient d’or, ainsi que le sable qui couvrait les allées ; ce fut une riche moisson pour les Espagnols. Les murs du couvent attenant à l’église sont de construction antique ; les pierres en sont polies et unies avec une telle perfection, qu’il est impossible de faire pénétrer entre elles la pointe même d’un couteau. C’est tout ce qui reste du temple du Soleil du Cusco, le plus célèbre des temples du Pérou.

Arrivé au Cusco, je m’en allai droit à la maison d’un riche caballero de la ville, don An… pour qui j’avais plusieurs lettres de recommandation. Il eut la bonne grace de me dire qu’il était prévenu de mon arrivée, et que mon appartement m’attendait depuis long-temps. J’étais donc, après quatre mois de voyage, installé dans une maison non pas comfortable, mais où rien ne manquait, excepté des cheminées et des poêles ; aussi mon temps se passait-il à souffler dans mes doigts et à battre la semelle, tout comme on le fait au collège. Malgré le froid, je passais volontiers de longues heures au balcon de mon appartement, qui donnait sur la place de San-Francesco. Je m’amusais à voir le mouvement du marché aux fruits et aux légumes, tenu sur cette place