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pas une idée neuve, et qui nous offrent trop souvent des idées fausses. En parcourant ce volume, où les redites coudoient les erreurs, il est impossible de ne pas se rappeler le conseil donné aux poètes par Boileau : il est trop évident que M. Guizot n’a pas d’amis prompts à le censurer. Il croit volontiers que ses moindres idées sont bonnes à recueillir, et ses amis l’encouragent dans cette croyance. Il a foi en lui-même dans le passé comme dans le présent, et ne pense pas qu’il y ait lieu de réviser aujourd’hui, ou même d’annoter les jugemens qu’il a prononcés à l’âge de vingt-trois ans. Satisfait de sa pensée à tous les momens de sa vie, il reproduit avec bonheur ce qu’il a dit dans sa jeunesse, et ne paraît pas se défier de l’opinion publique. S’il eût suivi le conseil de Boileau, il n’aurait pas ressuscité les pages dont je viens de parler, et qui certes ne méritaient pas de revivre. Tâtonnemens d’un esprit élevé qui n’avait pas encore trouvé sa voie, elles pourront à peine intéresser quelques érudits : à coup sûr, elles n’intéresseront pas la foule. Il ne fallait pas les tirer de l’oubli, car elles ne servent qu’à montrer l’inaptitude de M. Guizot pour la discussion esthétique. Une telle preuve était au moins inutile.


II

Dans le domaine purement littéraire, M. Guizot se trouve plus à l’aise. Il est certain que son travail sur Shakespeare est très supérieur à son travail sur Raphaël, et surtout aux considérations générales qu’il a cru pouvoir présenter sur la peinture et la statuaire. Pourtant, dans les pages mêmes qu’il a écrites sur Shakespeare, il abuse parfois de ses connaissances historiques ; je dis qu’il en abuse, et la chose n’est pas difficile à comprendre, car l’usage légitime de ces connaissances consisterait à éclairer la biographie du poète par le tableau rapide des événemens au milieu desquels s’est produit son génie. Or M. Guizot, au lieu d’accepter pour l’histoire ce rôle modeste et sensé, s’attribue le droit d’exposer, à propos de Shakespeare, tout ce qu’il sait du règne d’Elisabeth ; et, comme il a compulsé tous les documens originaux qui nous révèlent cette époque mémorable, cinquante pages ne lui suffisent pas pour nous donner un échantillon de son savoir. Le règne même d’Élisabeth ne saurait contenter son ambition. Avant d’aborder l’Angleterre du XVIe siècle, M. Guizot nous répète avec complaisance tout ce que nous avons lu mainte et mainte fois sur les premiers temps du théâtre grec, sur les origines du théâtre en Europe, sur les mystères du moyen-âge, si bien que, parvenu à la moitié de sa course, il n’a pas encore dit un mot de Shakespeare. Eschyle, Sophocle, Euripide, ont tellement absorbé sa pensée, qu’il semble avoir perdu de vue le poète de Stratford. Il y aurait de l’injustice à ne pas reconnaître