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et la consommation n’ont donc pas diminué, tant s’en faut, et, si les produits ne rapportent pas suffisamment à l’agriculteur, c’est que le prix de revient est trop élevé, qu’il ne peut plus soutenir la libre concurrence avec les produits étrangers. Que le cultivateur vaudois, par exemple, compare ce que produisaient ses terres au commencement de ce siècle à ce qu’elles produisent de nos jours, ce qu’était alors son économie domestique, et ce que sont aujourd’hui ses besoins et ses dépenses : — il reconnaîtra sans aucun doute que les causes du malaise dont il se plaint sont celles qui viennent d’être indiquées.

Si l’on cherche maintenant à déterminer quelle sera la nature de cette transformation à laquelle l’agriculture suisse doit se préparer, on est conduit à croire que ses produits prendront un caractère plus industriel. L’agriculture consultera les besoins des manufactures plutôt que ceux des marchés de denrées, désormais alimentés par l’étranger. Déjà, à la recommandation du président de la classe d’agriculture de Genève, on a commencé dans plusieurs cantons des essais en grand de la culture de la garance. La chaleur n’est point nécessaire au succès de cette culture. La Silésie produit annuellement vingt mille quintaux métriques de garance, la Hollande quarante mille, l’Alsace vingt mille, le royaume de Naples quinze mille, etc. On le voit, le climat est, bien moins que la nature du sol, la condition essentielle à la réussite de la garance. Si le palud d’Avignon en fournit de si riches récoltes, c’est que la culture de cette plante y est favorisée par un sol d’alluvion, profond, marécageux, et que dominent des collines de sulfate de chaux. Les mêmes qualités de terrain se retrouvent également dans les cantons du Valais, de Vaud et de Berne.

L’industrie de la production de la soie prendra aussi probablement une extension nouvelle en Suisse. Ce n’est pas le mûrier qui lui a fait défaut jusqu’à présent : ce sont les mœurs des pays séricicoles ; on a élevé des vers à soie par curiosité, par mode, par manière de passe-temps, mais nulle part on n’en a fait une affaire sérieuse, quoique les produits suisses obtiennent à Lyon les meilleurs prix. Il faut de longues années pour introduire de nouvelles habitudes dans les campagnes ; la nécessité abrégera peut-être cet apprentissage, favorisé par l’impulsion très grande que les malheurs de la France en 1848 ont donnée à la fabrication des rubans et des étoffes de soie en Suisse : tout ce que Lyon et Saint-Étienne perdirent à cette époque, Zurich et Bâle l’ont gagné.

Les conséquences de cette transformation de son industrie agricole imposeront à la Suisse un changement notable dans les rapports commerciaux de la confédération avec les états qui l’avoisinent, surtout avec la France. La position actuelle de la république helvétique autorise plus qu’on ne le croit peut-être en Europe cette direction nouvelle donnée à sa politique commerciale. Au milieu des troubles de 1845, il s’est accompli en Suisse un fait qui n’a guère été remarqué que par les populations des cantons. La Suisse était une confédération d’états, elle est devenue une république unitaire : armée, commerce, postes ; monnaies, chemins de fer, rapports diplomatiques, douanes, tout est devenu fédéral, c’est-à-dire que sur ces points la souveraineté cantonale a été abolie ; elle a passé tout entière à l’assemblée fédérale. Jusqu’en 1848, la Suisse a prospéré sous le régime de la plus entière liberté du commerce ;