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qui sépare le groupe des Ladrones de la côte orientale de Montanha ; mais, bientôt abandonnés par la brise, nous cessâmes d’avancer vers la chaîne des îles Bashis, et nous fîmes de vains efforts pour ne pas nous laisser entraîner par les courans au sud de l’écueil des Pratas. La mousson de sud-ouest est sujette à de fréquentes anomalies. Cette mousson orageuse n’est qu’une perturbation toute locale apportée au cours régulier des vents alizés par la raréfaction des couches d’air qu’échauffe pendant une partie de l’année l’immense surface du continent asiatique. Le grand courant atmosphérique qui règne entre le tropique du cancer et la ligne équinoxiale tend sans cesse à réagir contre les efforts périodiques de cette mousson. De la lutte de ces deux courans contraires naissent les ouragans, les typhons, les tempêtes tourbillonnantes, — circular storms, — qui désolent les côtes de l’Inde et les mers de la Chine. Dans les premiers jours du mois de mai, la mousson de sud-ouest, encore mal établie, cède facilement à la pression des vents alizés. Il faut s’attendre alors, non pas à un typhon, mais à un soudain retour de la mousson du nord-est. Cette circonstance, que nous vîmes se représenter en 18-49 et en 1850, nous contraignit cette fois de modifier notre itinéraire. Lorsqu’au calme qui nous retenait depuis soixante-douze heures à quelques lieues des côtes de Chine succédèrent tout à coup des vents violens d’est et de nord-est, nous renonçâmes à doubler l’île Luçon par le nord, et nous prîmes le parti de chercher, pour gagner les Mariannes, une issue vers laquelle ces grandes brises inattendues pussent nous conduire vent arrière.

Entre la côte méridionale de suçon et les îles de Mindoro et de Samar, un détroit parsemé de nombreux îlots ouvre un chemin sinueux aux flots de la mer de Chine et de l’Océan Pacifique. Ce détroit, qui reçut des premiers navigateurs espagnols le nom de San-Bernardino, n’est plus fréquenté aujourd’hui que par les navires qui se rendent de Sidney à Manille ; mais ce fut autrefois la route généralement suivie par les galions qui fournissaient aux habitans du Mexique les soieries de la Chine, et qui rapportaient en retour dans l’île de Luçon les produits inépuisables des mines de la Nouvelle-Espagne. Le 13 mai, favorisés par une brise d’ouest qui dura jusqu’au soir ; nous donnâmes à pleines voiles dans ce détroit presque oublié de nos jours, et, rasant la côte septentrionale de Mindoro, nous nous dirigeâmes vers le goulet de l’île Verte. Bien que trente lieues à peine nous séparassent de Manille, rien n’indiquait dans les parages que nous parcourions le voisinage d’unie grande colonie européenne. Nous eussions pu nous croire au temps des Magellan et des Legaspi, alors que les nefs castillanes côtoyaient