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que je dis là en grande lumière. En repassant dans leur mémoire les événemens qui ont rempli ces tragiques et misérables annales, ce n’est pas, comme aux siècles passés, l’œuvre d’autrui que les sociétés européennes à présent contemplent, c’est la leur propre ; à chacune des scènes que ce panorama déroule, elles pourraient dire comme le héros antique : Me, me adsum quoe feci. Grande leçon pour des peuples qui sauraient l’entendre ! Mais les peuples, comme les individus, sont trop enclins à bien penser d’eux-mêmes pour croire qu’ils ne soient pour rien dans les maux qui les affligent. Ils aiment mieux rejeter sur quelque fatalité surnaturelle, qui serait, on ne sait ni d’où, ni comment, violemment intervenue dans leurs affaires, l’origine et la responsabilité de leurs souffrances. C’est la révolution ! s’écrient-ils, et ils ont tout dit, comme si la révolution était quelque chose de différent de leurs besoins, de leurs désirs, de leurs passions et de leurs vices !

Une nation entre toutes vit sous l’empire de cette illusion : c’est l’Italie. Les Italiens, qu’il soit permis à un de leurs plus obscurs, mais de leurs plus sincères amis de le dire, les Italiens sont le premier peuple du monde pour chercher à tout ce qui leur arrive des raisons mystérieuses, à la production desquelles leur liberté est pleinement étrangère. Qu’on ouvre l’histoire cependant, et la plus simple attention découvrira que la première cause des séculaires malheurs de l’Italie, c’est elle-même ; que si, depuis tant d’années, elle est, suivant l’énergique expression de Montesquieu, le « caravansérail » des ambitions étrangères, cela provient infiniment moins de la malignité du sort que des défauts de caractère et de conduite du peuple, et qu’enfla, de même que ce n’est pas ailleurs que dans ces défauts qu’il faut chercher la cause des déceptions du passé, de même ce n’est pas ailleurs que dans leur redressement qu’il faut puiser les élémens du salut de l’avenir. Les événemens d’hier parlent à cet égard le même langage qu’avaient parlé les siècles ; ils le parlent même peut-être avec une éloquence plus saisissante encore et plus sévère. Considérez les révolutions qui ont agité depuis cinq ou six ans les différens états de la Péninsule : les États de l’Église, les Deux-Siciles, la Toscane, les provinces lombarde et vénitienne, le Piémont. Toutes ces révolutions avaient en elles-mêmes la force d’aboutir comme elles avaient eu la raison de naître ; toutes, à un moment donné, ont été capables de réussir, et pourtant, à une seule exception près, à l’exception de la révolution piémontaise, toutes ont échoué. L’imagination italienne a donné mille raisons de cet échec, mais elle a oublié la véritable ; cette raison, je viens de la dire, c’est l’inconduite flagrante et le plus souvent inexcusable des hommes. Ce n’est pas la Providence qui a manqué au peuple italien depuis six ans ; c’est, si l’on peut parler ainsi, le peuple italien qui a manqué à la Providence.