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une autre ombre allait aussi, silencieuse et calme, à la poursuite d’un poème commencé. Dans cette allée errait M. Monteil, dans l’allée opposée se promenait Béranger, son voisin, et je ne crois pas qu’ils se soient jamais adressé la parole, en passant. Ils étaient faits cependant l’un et l’autre pour s’aimer et pour se comprendre, et jamais peut-être la gloire éclatante du poète ne se fût trouvée plus à l’aise que dans la douce obscurité de l’historien-philosophe. Enfans du peuple l’un et l’autre, amis du peuple tous les deux, Béranger chantait les heures de repos de ce travail que M. Monteil indiquait dans ses livres ; il était le poète de ces esprits dont M. Monteil était l’historien. Lui aussi, s’il n’avait pas supprimé dans ses poèmes, comme le faisait son voisin dans ses livres, les rois et les puissans de la terre, il leur faisait une guerre impitoyable ; disons tout, en dépit de l’apparence, le poète était un moins bon homme que l’historien des divers états ; Béranger aime la lutte, il la cherche ; il l’appelle ; il est habile à l’attaque, ardent à la défense ; au contraire, M. Monteil n’attaque guère, il ne se défend pas, il poursuit obstinément une idée arrêtée à l’avance dans son cerveau.

Il a langui ainsi bien long-temps, cherchant le repos et ne l’attendant plus guère que de l’extrême vieillesse. À cette heure, il avait bien rabattu de ses premières prétentions, et pour tout domaine il se contentait d’un toit de chaume, entre deux jardins, non loin de ce Fontainebleau où le ramenait le souvenir de sa chère Annette. Il trouva à Cély, qui est un petit hameau sur le grand chemin, une maisonnette à sa convenance ; il acheta la maison de Cély au prix de 8,000 francs, tout son avoir. Ainsi, après trente-cinq ans d’un travail assidu et d’une vie indigente, il avait perdu 2,000 francs du capital que son père et sa mère lui avaient laissé. Notez bien que, malgré ses huit tomes de l’Histoire des divers états, M. Monteil n’était que cela : propriétaire à Cély. Des justes honneurs réservés à la science, aucun ne lui avait semblé mériter les humiliations et les souffrances par lesquelles il faut passer avant de les obtenir. Il se répétait souvent cette parole de Sénèque, qu’il était pour lui-même un assez grand théâtre, obéissant en ceci à ce vrai sage, à cet éloquent M. Laromiguière qui était son meilleur ami. — A quoi bon ces vanités qu’on te refuse, ami Monteil ? disait M. Laromiguière, en quoi viendront-elles en aide à ta vie, et qu’en feras-tu à ta mort ? Vivons cachés ; vivons sans récompense, et contentons-nous du petit bruit que font nos livres, sans y ajouter des bruits factices et des titres menteurs. M. Laromiguière et M. Monteil s’aimaient d’une amitié tendre et dévouée ; ce fut même une ruse de celui-ci qui fit trouver un libraire à celui-là. M. Laromiguière, en secret, répondit du premier livre de M. Monteil. Le banc de pierre au jardin du Luxembourg, sur lequel ils avaient coutume de s’asseoir, a survécu à la double pairie,