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il put cependant ne pas enfreindre la loi qu’il s’était tracée à lui-même, faut-il croire que David Stuart aimait Eleanor comme Eleanor aimait David Stuart ?

Vainement voulait-elle rassurer sa conscience en invoquant le souvenir de ses griefs. Les plus réels, les plus graves, elle les avait pardonnés, elle les tolérait avant l’arrivée de David. Comment, depuis lors, les avait-elle jugés insupportables ? Étaient-ce bien les fautes de son mari qui l’avaient chassée de chez elle ? N’y serait-elle pas demeurée, même aux conditions les plus dures, si un secret espoir ne l’avait engagée dans cette nouvelle voie ? Et cet espoir, était-il légitime, — non pas dans le sens étroit de ce mot, — mais légitime devant Dieu, dépositaire des sermons sacrés qui lient l’épouse à l’époux « jusqu’à ce que la mort les sépare ? »

Le divorce pouvait être prononcé, il devait l’être, à coup sûr, selon la loi écossaise ; mais si son mariage n’était pas régi par cette loi, si, après avoir affronté le scandale d’un débat public, elle restait après tout la femme déshonorée de sir Stephen Penrhyn !

Si, au contraire, son droit était reconnu… eh bien ! qu’aurait-elle gagné à faire prévaloir ainsi sur les influences de la religion, sur les restrictions du devoir, cet amour à l’entraînement duquel, dans un moment de transport, elle s’était abandonnée ? Que penserait d’elle celui-là même auquel elle aurait tant sacrifié ? n’aurait-elle pas perdu dans son estime ? Et si son amour venait à s’éteindre, comme elle avait vu s’amortir la fervente passion qu’elle inspirait naguère à son époux, quelle place garderait-elle dans son cœur, la femme divorcée, l’esclave fugitive, traînant après elle l’inséparable débris de ses chaînes une fois rompues ? Que deviendrait-elle le jour où David Stuart, son mari, n’aurait plus pour elle que de généreux égards, une délicate pitié ?… Effrayantes pensées, nées dans un isolement dont elle s’effrayait aussi, peu accoutumée à marcher sans guide dans les âpres sentiers de la vie, à résider sous un toit étranger, à rentrer seule dans un appartement désert, à s’y trouver, durant les longues heures de la nuit, face à face avec des textes de lois, vainement soumis à ses impuissantes méditations.

Peu à peu, devant ces réflexions, confirmées par les lettres pressantes de sa meilleure amie, de lady Margaret Fordyce, qui, sans avoir pénétré le secret mobile de sa conduite, sans croire qu’elle aimât David ou qu’elle aspirât à un second mariage, la dissuadait éloquemment de toute mesure extrême, de toute publicité malséante, de toute détermination téméraire ; — devant ces réflexions, disons-nous, le beau rêve d’Eleanor, — rêve de liberté reconquise, de long amour récompensé, de lieds rompus et renoués sous de meilleurs auspices, — ce beau rêve pâlissait et s’effaçait par degrés. Il eût fallu, pour y croire