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étaient depuis long-temps ensevelis, quand Pascal fermait les yeux, quand Corneille n’était plus qu’une ombre de lui-même, quand Mme de Sévigné, La Fontaine et Molière avaient quarante ans, quand Bossuet en avait trente-six. Tous ces grands esprits, dans leur style comme dans leur pensée, ont un caractère qui n’est pas celui de leurs successeurs, quelque chose de naïf et de mâle qui perce sous l’agrément même de la forme, et trahit un autre temps, une littérature née sous d’autres auspices. Le XVIIe siècle ne relève pas de Louis XIV, qui le couronne, mais de Richelieu, qui l’a inspiré. Nul ne ressentit mieux que Richelieu le goût renaissant de la politesse et des lettres. Le fond de cette ame extraordinaire était l’ambition : son vrai génie était tout politique ; mais, passionné pour tous les genres de gloire, il désirait aussi être ou paraître le plus bel esprit de son temps, et même un cavalier accompli. Comme tous les grands hommes, depuis César jusqu’à Napoléon, il était très aimable quand il voulait l’être. Pendant quelque temps, il lui a plu de dissimuler l’ambitieux mécontent et qui attendait son heure sous l’homme du monde recherchant et obtenant les plus brillans succès de société. Dès qu’il fut puissant, il mit à la mode ses propres goûts, et dès 1630 il y avait à Paris plus d’un hôtel où se réunissaient, pour passer le temps agréablement ensemble, des gens d’esprit, d’une grande et d’une médiocre naissance, d’épée, de robe et d’église, avec des femmes aimables, qui naturellement donnaient le ton. L’hôtel de Rambouillet a été le plus considérable de tous ces foyers de l’esprit nouveau, et il en est resté le plus célèbre plutôt encore par ses défauts que par ses qualités.

En effet, quelle idée se présente à l’esprit dès qu’on parle de l’hôtel de Rambouillet ? Celle d’une réunion choisie où l’on cultive la plus exquise politesse, mais où s’introduit peu à peu et finit par dominer le genre précieux. Et qu’était-ce que le genre précieux ?

C’était d’abord tout simplement ce qu’on appellerait aujourd’hui le genre distingué. La distinction, voilà ce qu’on recherchait par-dessus tout à l’hôtel de Rambouillet : quiconque la possédait ou y aspirait, depuis les princes et les princesses du sang jusqu’aux gens de lettres de la fortune la plus humble, était bien reçu, attiré, retenu dans l’aimable et illustre compagnie.

Mais que faut-il entendre par la distinction ? On ne la peut définir d’une manière absolue. Chaque siècle se fait un idéal de distinction à son usage. Deux choses pourtant y entrent presque toujours, deux choses en apparence contraires, qui ne s’allient que dans les natures d’élite, heureusement cultivées : une certaine élévation dans les idées et dans les sentimens, avec une extrême simplicité dans les manières et dans le langage. Je suppose qu’à Athènes, chez Aspasie, Périclès,