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la séparation, et il ne pouvoit lui dire adieu qu’il ne répandît des larmes ; et lorsqu’il partit pour ce dernier voyage d’Allemagne (où il remporta la victoire de Nortlingen), il s’évanouit lorsqu’il la quitta. »

Une telle situation était trop violente et trop fausse pour durer bien long-temps ; elle se prolongea même au-delà des bornes ordinaires. Mlle du Vigean ne voulait être que la femme de Condé, et le mariage de celui-ci ne se pouvait rompre : rien n’avançait d’aucun côté, et tout le monde souffrait.

On comprend que les assiduités déclarées de Condé auprès de Mlle du Vigean intimidaient ceux qui auraient pu prétendre à sa main. Il fut question pour elle de deux mariages. Parmi ses adorateurs était le marquis d’Huxelles, qui depuis épousa Marie de Bailleul, fille du surintendant des finances, si célèbre par les graces de son esprit. D’Huxelles était un militaire fort distingué, qui pensa devenir maréchal de France, et dont les services et la mort prématurée à la suite de ses blessures[1] comptèrent à son fils pour obtenir le bâton. Il songea très sérieusement à épouser Mlle du Vigean. Il recula devant les bruits qui n’avaient pu manquer de se répandre, « quoique, dit Lenet[2], d’où nous tirons ces renseignemens, je sache, avec toute la certitude qu’on peut savoir les choses de cette nature, que jamais amour ne fut plus passionné de la part du prince, ni écouté avec plus de conduite, d’honnêteté et de modestie de la part de Mlle du Vigean. » Et en cela Mme de Motteville et Mademoiselle sont entièrement d’accord avec Lenet.

Mlle du Vigean avait aussi été recherchée par un autre gentilhomme aimable et brave, le marquis Jacques Stuart de Saint-Mégrin, frère de la belle Saint-Mégrin dont le duc d’Orléans fut si amoureux. Saint-Mégrin aimait depuis long-temps Mlle du Vigean[3] ; mais il n’osait aller sur les brisées de Condé. Plus tard, il eut une extrême joie quand il sut qu’il pouvait être écouté, et il fit parler aussitôt aux parens de Mlle du Vigean. Le mariage n’eut pas lieu : une passion telle que celle que nous venons de raconter devait avoir un autre dénoûment.

On sait par Mme de Motteville et par Mademoiselle qu’après la campagne de Flandre et la victoire de Nortlingen, Condé fit une grande maladie. C’est alors que, désespérant de vaincre les scrupules vertueux de Mlle du Vigean et de faire dissoudre son mariage, il prit la résolution et pour elle et pour lui de tourner ailleurs ses pensées. Mlle du Vigeau ne se plaignit point ; elle ferma l’oreille à toutes les propositions, et,

  1. Le marquis d’Huxelles mourut en 1658 de ses blessures, et un peu du dépit de n’être pas nommé maréchal. Son fils le fut en 1703. Mme d’Huxelles mourut très vieille en 1712.
  2. Mémoires de Lenet, première partie, p. 207.
  3. Mémoires de Mademoiselle, t. Ief, p. 84.