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dans tout l’éclat de sa beauté, elle se jeta aux Carmélites de la rue Saint-Jacques. Condé ne chercha point à la revoir ; mais il conserva toujours pour elle, dit Lenet, « une mémoire pleine de respect. » L’amour de Condé ne fut donc pas un caprice passager des sens et de l’imagination. Il commença avant son mariage ; il dura quatre longues années ; il persévéra ardent et pur au milieu des camps, et ne s’éteignit que dans le désespoir d’arriver à une fin heureuse, et encore à la suite d’une longue maladie, et après une crise violente, d’où le vainqueur de Nortlingen sortit renouvelé, renonçant à jamais à l’amour pour ne songer plus qu’à la gloire et à l’ambition.

On voudrait suivre Mlle du Vigean au couvent des carmélites, et savoir en quel temps précis elle y entra, quels emplois elle y occupa et quand elle y mourut. Voilà ce que nuls mémoires contemporains ne nous apprennent, et ce que nous pouvons faire connaître avec certitude, grace aux documens authentiques qui nous ont été communiqués. Nous pouvons donc dire que Mlle du Vigean fit profession en 1649, : qu’ainsi elle dut entrer aux Carmélites en 1647, puisqu’on ne pouvait faire ses vœux qu’après avoir été un an ou deux postulante et novice ; qu’elle prit en religion le nom de sœur Marthe de Jésus ; qu’elle mourut en 1665, on ne dit pas à quel âge ; qu’elle ne fut jamais prieure ; qu’elle était sous-prieure en 1659, qu’elle cessa de l’être en 1662 ; que, selon l’usage, elle dut l’être six ans, par conséquent de 1656 à 1662 : d’où il suit que toutes les lettres de Mme de Longueville par nous publiées[1] qui sont adressées à la sœur Marthe et à la mère sous-prieure, de 1656 à 1662, le sont à la même religieuse, et que cette religieuse est Mlle du Vigean ; ce qui confirme la plupart des conjectures que nous avions autrefois tirées du ton particulièrement affectueux de ces lettres. Enfin nous avons trouvé à la Bibliothèque nationale, dans les portefeuilles du docteur Vallant[2] et dans le fonds de Gaignières[3], deux billets de Mlle du Vigean, devenue sœur Marthe, à Mme de Sablé, et un autre à cette même marquise d’Huxelles dont elle eût pu tenir la place. Ces lettres, d’une politesse gracieuse et où l’on sent une tendresse naturelle sous l’absolu renoncement de la carmélite à toutes les affections du monde, sont les seules reliques jusqu’à nous parvenues de cette intéressante personne, qui, pour avoir trop plu à un prince, fut réduite à ensevelir dans un cloître sa beauté et sa vertu.

Ainsi se terminent bien souvent les plaisirs de la jeunesse, les inclinations les plus nobles, les fêtes du cœur et de la vie. Mlle de Bourbon vit naître, croître et finir les amours de Condé et de Mlle du Vigean,

  1. Quatrième série, de nos ouvrages, t. III.
  2. T. V.
  3. Lettres originales, t. IV.