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Villefore dit qu’elle les traversa, mais il n’en apporte aucune preuve ; il est au moins bien certain qu’elle s’efforça de réparer, autant qu’il était en elle, le mal que fit son frère à sa jeune et charmante amie. En souvenir d’elle, elle combla sa sœur de bienfaits, et, quand la pauvre délaissée eut été chercher un asile aux Carmélites, elle ne cessa pas d’entretenir avec elle un commerce affectueux ; elle la visitait et lui écrivait souvent, et, jusqu’à la fin de sa vie, elle la mit dans son cœur à côté de Mme de Sablé.

Mais ne devançons pas l’avenir. Nous en sommes encore aux illusions du bel âge, dans la saison des plaisirs et des amours. Pendant qu’autour d’elle, à l’hôtel de Rambouillet et à l’hôtel de Condé, a Chantilly, à Ruel, à Liancourt, tout respirait l’héroïsme et la galanterie, environnée de jeunes et brillans cavaliers devenus plus tard de grands capitaines, de gracieuses amies qui entraînaient après elles tous les cœurs, que faisait du sien Mlle de Bourbon ? Le donna-t-elle aussi, comme Mlle du Vigean et Mlle de Boutteville ? Parmi tant d’adorateurs qui s’empressaient sur ses pas, n’en distingua-t-elle aucun ? Tendre et un peu coquette, avec l’ame et les yeux de Chimène, quel Rodrigue la trouva sensible parmi les jeunes héros de la cour de son frère ? A l’âge de dix-neuf ans, elle avait été promise au prince de Joinville, fils de Henri de Lorraine, duc de Guise. C’eût été une puissante alliance que celle qui eût ainsi réuni les Montmorency, les Condé et les Guise ; mais le prince de Joinville mourut en Italie, où il était allé retrouver son père, dans la violente et opiniâtre persécution que ne cessa d’exercer contre les Guise, en souvenir de la Ligue, l’implacable vengeur et le promoteur infatigable de l’autorité royale, le cardinal de Richelieu. On dit qu’il fut aussi question pour elle d’Armand, marquis de Brézé, neveu du cardinal de Richelieu, frère de celle qui fut imposée au duc d’Enghien. Et certes Condé lui-même eût pu être fier d’avoir pour beau-frère le jeune et intrépide marin qui battit deux fois les flottes de l’Espagne, et périt, à vingt-sept ans, d’un coup de canon, au siège d’Orbitello, en 1646. Apparemment l’orgueil des Condé trouva que c’était assez d’avoir dérogé une fois, comme si l’ambition elle-même n’eût pas dû s’applaudir d’avoir à sa disposition, au moyen des deux héroïques beaux-frères, toutes les forces de la France, ses armées de terre et de mer !

Mlle de Bourbon attirait à la fois et décourageait. Il n’y avait pas un gentilhomme qui n’eût donné sa vie pour un de ses regards ; mais nul n’était assez téméraire pour aspirer à sa main. On soupira donc beaucoup pour elle, plusieurs même lui adressèrent de plus particuliers hommages. On cite, entre autres, le duc de Beaufort, plus brave que spirituel, loyal, assez chevaleresque, qui, poliment éconduit, alla tomber